‘J’ai fait un don à l’EDHEC pour son engagement social’, Patrick Van Den Schrieck, Alumni et Grand Donateur
Patrick Van Den Schrieck, Alumni EDHEC 1965, est Président-Directeur Général des Laboratoires Sarbec et Grand Donateur pour l’EDHEC Business School.
Nous l’avons interrogé sur sa carrière, sa vision du management et la raison de ses dons importants pour l’école. Interview inspirante et franche avec un entrepreneur du Nord, généreux, audacieux et à la vision foncièrement internationale.
Votre carrière professionnelle débute chez Auchan en 1965. Racontez-nous.
Lors de ma troisième et dernière année à l’EDHEC, j’ai décidé de partir, la fleur au fusil, aux Etats-Unis. Mes parents m’ont aidé à financer le billet d’avion, pour le reste, je devais me débrouiller !
J’ai passé deux mois et demi aux Etats-Unis, et j’ai travaillé dans un supermarché, ou plutôt un ‘magasin en libre-service’ car cela ne s’appelait pas encore ‘supermarché’. J’étais chef de rayon ‘pyjama et chaussettes’.
En voyant et travaillant pour ce type de magasins, qui n’existaient pas encore en France, je me suis dit, ‘plutôt que d’aller à 5 magasins, ici ils ont tout sous le même toit !’. J’avais un niveau d’anglais faible, mais je m’en suis sorti avec mon humour et ma créativité. J’ai découvert, dans ces grands magasins, que c’était le consommateur qui gérait les choses. Je me suis dit ‘il y a quelque chose de nouveau.’
De retour en France, j’ai été engagé en tant que premier cadre chez Auchan à Roubaix. Le Directeur de l’EDHEC, à l’époque, ne voyait pas cela d’un très bon œil ! J’étais l’un des rares qui avait fait de longues études, et il trouvait cela honteux que je commence en tant que ‘marchand de moutarde’ ! (rires) C’était la mentalité de l’époque.
Au bout de quelques mois, je n’étais pas satisfait de mon poste chez Auchan. Selon moi, l’équipe ne savait pas négocier, faire de la marge, ils allaient droit dans le mur ! J’ai posé ma démission et j’ai même osé leur dire ‘Je n’ai pas besoin de mon salaire, gardez-le, vous en aurez besoin !’
Monsieur Mulliez, très étonné évidemment, a fini par me rappeler. Il m’a dit ‘vous m’avez dit des choses dures ! Je voudrai vous revoir.’ Je n’avais rien à perdre, j’y suis allé. Il m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai dit que j’étais venu pour développer le magasin, ajouter des produits frais, le non alimentaire, etc. A l’époque, Auchan Roubaix ne faisait que de l’épicerie, et très peu de produits frais, c’était le petit magasin de quartier. Je disais ‘Il faut faire des surfaces de 3 000 à 5 000m2’, ce qui était inimaginable en Europe !
Je lui ai expliqué comment je souhaitais procéder. Je lui ai dit ‘je veux être manutentionnaire’. Je souhaitais travailler à tous les postes de manutention que j’allais diriger un mois plus tard. Je souhaitais également connaitre tous mes fournisseurs, j’ai visité à l’époque plus d’une centaine d’usines.
Je voulais avoir carte blanche, qu’on ait une totale confiance en moi. Quitte à être viré sans salaire ou indemnité si cela ne fonctionnait pas !
Pourquoi est-ce important, selon vous, d’être ‘manutentionnaire’ ?
J’ai toujours été dans la volonté de bien comprendre les rôles de chacun, pour bien développer l’entreprise ensuite.
Mes collègues chez Auchan étaient étonnés que je vienne faire tous les postes, sans diriger personne, dans le but de me mettre à la place de tous les gens que j’allais diriger ensuite. Cela a duré 1 mois. J’ai décelé toutes les erreurs et le temps perdu sur chaque poste pendant cette période. Je me demandais constamment ‘qu’est-ce qu’on peut faire de mieux ?’.
Je veux comprendre à peu près tout ce que font mes collaborateurs, afin de leur donner les bonnes instructions et leur en donner des nouvelles plus optimisées. C’est cela, pour moi, du management complet. Ce n’est pas parce qu’on a un badge de Manager qu’on dirige !
Savoir ce que nos employés doivent faire, savoir ce qu’on a envie de leur faire faire, et donc avoir les instructions qu’il faut pour avancer, ça c’est intéressant. Je pense que pour bien diriger, on doit très bien savoir ce que font les autres. Si on veut faire progresser l’entreprise, il faut que les chefs sachent suffisamment les choses pour faire progresser ceux qui sont en dessous, pour les ‘pousser par le bas’, et pas ‘par le haut’.
On peut être manutentionnaire pendant les périodes de stage de nos jours. Si l’on fait un stage dans ce qu’on a envie de faire, c’est encore mieux !
Vous travaillez ensuite pour Mayolande-Bénédicta Bénénuts. Comment cela se passe-t-il ?
Après 9 ans chez Auchan, et après avoir ouvert plusieurs Auchan dont Auchan Ronq et Auchan Englos, j’ai rejoint le groupe Mayolande-Bénédicta Bénénuts en tant que Directeur Général. Ma volonté était d’augmenter le chiffre d’affaire et d’élargir les gammes. Mon premier réflexe a donc été de visiter l’usine. J’ai remarqué que les machines ne tournaient pas la nuit. J’ai dit à l’équipe ‘une machine ne doit jamais s’arrêter, jour et nuit !’. J’ai donc organisé les pauses, embauché une personne en plus, pour que les rotations de personnel s’organisent. Dès le premier mois, nous avions obtenu + de 20% de productivité supplémentaire ! Nous avons développé de nombreuses gammes qui existent toujours, de cacahuètes, de sauces etc. L’entreprise a été ensuite très bien revendue, j’ai alors quitté l’entreprise.
Vous avez été Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Nord - Pas-de-Calais. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
J’ai été Président de la chambre de commerce de Lille, et président de la chambre de commerce régionale pendant 10 ans. J’ai également eu la charge des 70 chambres de commerce de France et de toutes les chambres de commerce françaises à l’étranger, pendant 15 ans.
J’ai beaucoup voyagé à la rencontre des chambres de commerce et des ambassades. C’était de l’engagement pour le compte des entreprises. J’allais à l’étranger pour voir tout ce qui se faisait de mieux, pour pouvoir le ramener en France. C’était une ouverture formidable pour moi !
Pourquoi avoir fait parti du Conseil d’Administration de l’EDHEC à cette époque?
L’EDHEC était située dans une petite maison Boulevard Vauban, à Lille. L’école n’avait pas l’organisation qu’elle a aujourd’hui. J’avais un budget dédié pour les écoles à cette époque, et je donnais 50% de ce budget à l’EDHEC, parce que l’EDHEC était clairement en devenir ! L’EDHEC a toujours essayé d’être ‘un peu à côté’, différente des autres écoles et institutions de la région, avant-gardiste en somme. C’est ce qui m’a plu.
Vous êtes P-DG des Laboratoires Sarbec aujourd’hui. Qu'appréciez-vous dans ce rôle?
Je dirige environ 500 salariés. Ce rôle m’a permis énormément d’échanges avec l’international, le Japon notamment. Je me souviens une fois d’avoir invité un grand patron japonais dans le Nord, pour qu’il développe son usine ici. Je j’ai conduit au milieu d’un champ, et je lui ai dit ‘votre usine, c’est ici !’ Je pense qu’il faut avoir du culot !
Quel est votre retour sur votre expérience à l’EDHEC ?
J’ai beaucoup aimé l’EDHEC. D’abord car nous n’étions que 70 dans notre classe, c’était certainement plus ‘scolaire’ qu’aujourd’hui ! Les travaux en groupes n’existaient pas vraiment par exemple. Ensuite les matières enseignées étaient pour nous toutes nouvelles : nous parlions d’économie, de management. L’école voulait nous préparer, déjà, à être dirigeants ou cadres dans des sociétés. Chose qu’on ne nous apprenait pas dans les autres écoles. Enfin les professeurs étaient spécialisés et très généreux dans leur enseignement et pédagogie, ils voulaient donner tout ce qu’ils savaient ! Le cours de comptabilité était donné par un Chef comptable, etc…
Je trouve que cela très bien d’avoir vu toutes les bases. Si l’on a vu toutes les bases, on peut discuter avec nos collaborateurs en connaissant un certain nombre de choses. L’EDHEC Business School m’a appris à comprendre ce que font les autres et à les orienter. Je crois que c’est peut-être bien pour diriger assez vite.
D’autre part, j’étais très engagé durant mes études, c’était passionnant ! J’ai été délégué de promo. Il n’y avait pas d’associations à l’époque, j’ai créé le ski club EDHEC, pour les étudiants EDHEC, ainsi que le ski club du NORD, pour ceux qui n’étaient pas à l’école. J’ai toujours eu cette envie d’ouverture vers les autres. Je poussais les étudiants de l’EDHEC à découvrir des usines, beaucoup n’en n’avais jamais vu. Tout ce qu’on pouvait apprendre en dehors des livres, je le faisais par le sport ou par les visites d’usines !
Pourquoi avez-vous versé un don à l’EDHEC?
Je l’ai fait pour l’engagement social de l’EDHEC, que j’apprécie beaucoup. Vous avez un programme de bourses qui permet à des gens qui ne peuvent pas, mais qui le méritent, d’accéder à l’école.
Je l’ai fait aussi parce que l’EDHEC est devenue très internationale, et je trouve cela très bien !
Enfin, j’ai réalisé ce don également pour aider l’école à élargir ses horizons, à innover en permanence. Elargir ses horizons, pour moi, c’est favoriser une mixité, non pas simplement hommes-femmes, mais une mixité dans des visions beaucoup plus larges, savoir regarder à côté : les autres métiers, les autres pays, les autres façons de faire, avec beaucoup, non pas de compassion, mais d’intérêt, dans le sens de découverte.
Beaucoup de gens sont formidables, on a beaucoup à recevoir des autres. Et je ne parle pas d’argent. Je suis plutôt curieux et j’aime savoir que mon don à l’EDHEC permet à l’école d’élargir son champ d’action.
Enfin, j’ai toujours retenu que quand on a reçu quelque chose, il faut savoir donner en retour !
Quelle est selon vous la force de l’école ?
Je dirais que c’est sa diversité, avec des gens qui viennent de tous les horizons, et sa vision bien plus internationale que n’importe quelle autre école. C’est aussi une école qui est tournée vers l’avenir.
Recrutez-vous des talents EDHEC aujourd’hui ?
Pas assez ! J’aimerais des candidats prêts à créer de nouvelles sociétés, à lancer des filiales à l’international. Il faut des profils qui ont des idées et qui ont envie d’aller développer le commerce sur le terrain. Nous travaillons avec une diplômée EDHEC dans notre service Marketing des Laboratoires Sarbec, qui est très bien et a un vrai profil international.
Quel conseil donneriez-vous aux étudiants ?
Il faut oser ! Osez faire des choses qui n’existent pas ou que vous pourriez améliorer. N’attendez pas que cela se fasse. Sachez vous entourer de gens qui savent faire, parfois mieux que vous. Vous ne réussirez pas tout bien sûr, mais demandez-vous comment vous pouvez mieux faire.Travaillez, essayez de comprendre. Et soyez prudent malgré tout !
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