Les concessions autoroutières françaises : usagers contre actionnaires
Trois chercheurs d'EDHECinfra - Noël Amenc, Frédéric Blanc-Brude et Tim Whittaker* - prévoient, en se basant notamment sur un travail de référence de 2020 de l'institut, que l'augmentation moyenne de 4,75% des péages de février 2023 fera grimper la rentabilité de 8,5% et la valeur des concessions d'environ 4 milliards d'euros. Dans un contexte de forte inflation, ils soulignent que le système en place ne prend pas en compte les intérêts des usagers.
Le régulateur, dans son contrat signé avec les concessionnaires autoroutiers, les autorise à modifier les tarifs de péage de manière à maintenir la valeur de l'actif net et le rendement "équitable" convenu à leurs niveaux initiaux. La hausse de l'inflation a des effets mitigés pour ce secteur : bien que les sociétés routières à péage puissent indexer leurs tarifs sur la hausse générale des prix, elles ont en fait des coûts variables limités et un levier d'exploitation relativement faible ; de plus, par le biais de la hausse des taux d'intérêt et des taux d'actualisation utilisés pour calculer la valeur nette des concessions, la hausse de l'inflation a un impact sur la valeur des actifs. En d'autres termes, sur la base de leurs calculs, les chercheurs soulignent que la valeur de marché des concessions routières françaises devrait diminuer d'environ 7% dans le scénario sans indexation des péages.
En février 2023, les concessionnaires routiers ont mis en place une augmentation moyenne de 4,75% des tarifs de péage, avec quelques réductions offertes aux utilisateurs réguliers (plus de 10 voyages par mois sur la même route). Sur la base de leurs recherches antérieures mentionnées dans la presse et utilisées par le Sénat dans son rapport n°709, les chercheurs d'EDHECinfra* ont calculé qu'en supposant une faible élasticité-prix de la demande pour ces réseaux autoroutiers, cette hausse du prix des péages devrait augmenter les revenus des concessions d'au moins 4,25%. Comme le levier d'exploitation des routes françaises était d'environ 2 à la fin de 2021 - chaque euro supplémentaire de recettes crée 2 euros supplémentaires de bénéfices - cela conduira à une augmentation des bénéfices d'environ 8,5%.
Étant donné que des bénéfices plus élevés sont associés à un risque plus faible portant sur les dividendes (et en particulier à un risque de décote plus faible), cela entraînera une augmentation équivalente des dividendes et une valorisation plus élevée des contrats de concession. Au total, pour les 10 concessions analysées, qui pèsent 275 milliards d'euros en termes de capitaux propres en valeur de marché, cette différence entre les -7% et les +8,5% créera une valeur supplémentaire d'environ 4 milliards d'euros pour les investisseurs.
Les chercheurs estiment que les contrats de concession autoroutière sont mal conçus, conduisant année après année à un déséquilibre financier défavorable aux usagers. En 2020, le rapport produit par EDHECinfra notait qu'il serait possible de baisser les péages autoroutiers de 15% sans menacer l'équilibre financier des concessions.
Références
- Amenc, N. & Blanc-Brude, F. (2020). "The cost of capital of motorway concessions in France – A modern approach to toll regulation", Publication EDHECinfra.
- Whittaker, T. et Tan, R. (2020) "Anatomy of a Cash Cow", Publication EDHECinfra.
- Blanc-Brude, F. (2018) "Unlisted Infrastructure Asset Pricing Methodology – A modern approach to measuring fair value in illiquid assets", Publication EDHECinfra.
- Lac, M. et Ferreira, L. (2002). "Modelling tolls: values of time and elasticities of demand: a summary of evidence". Physical Infrastructure Centre Research Report 02-01, School of Civil Engineering, Queensland University of Technology, Brisbane.
Lire également le communiqué de presse EDHECinfra de septembre 2020 "Archaïsme et injustice de la gestion des péages autoroutiers en France" et l'article publié en octobre 2020 dans The Conversation / EDHEC Vox "L'injustifiable rentabilité des concessions autoroutières".
* Noël Amenc, Professeur associé de finance, EDHEC Business School, Directeur, Scientific Infra - Frédéric Blanc-Brude, Directeur, EDHECinfra - Tim Whittaker, Directeur de recherche, EDHECinfra.