SPOTLIGHT – Un Séminaire 'Leadership' au sein des armées – Comment et pourquoi? La Directrice du Programme 'Parcours Dirigeants' et un Capitaine de Frégate expliquent
Le séminaire « Management sous tension au sein des Armées » immerge chaque année, pendant 10 jours, les participants à l’AMP-Parcours Dirigeants sur une frégate de la Marine nationale : la mission…
Le séminaire « Management sous tension au sein des Armées » immerge chaque année, pendant 10 jours, les participants à l’AMP-Parcours Dirigeants sur une frégate de la Marine nationale : la mission Jeanne d’Arc. Le capitaine de frégate Nicolas Champs et la co-directrice du Programme Parcours Dirigeants à l’EDHEC expliquent en quoi consiste ce séminaire extraordinaire et en quoi il est un outil pédagogique de premier ordre.
Avant toute chose, qu’est-ce que la mission Jeanne d’Arc ?
Capitaine de Frégate Nicolas Champs : La mission Jeanne d’Arc est le déploiement opérationnel d’un Task Group constitué d’un porte-hélicoptères amphibie (PHA) et d’une frégate légère furtive (FLF) et qui sert de support à la formation des officiers de Marine. En effet cette mission a trois objectifs : démontrer les capacités de déploiement opérationnel de haut niveau (présence d’un groupe amphibie, d’hélicoptères…), coopérer avec les marines partenaires (préparation opérationnelle ou opérations réelles) et formation. Attardons-nous quelques instants sur la formation. Les enseignes de vaisseau (EV) embarquent après 2 années passées à l’École navale pour la première fois loin, longtemps, et en équipage pour terminer leur formation. Il s’agit d’une formation pratique professionnelle complète puisqu’à la sortie de cet embarquement ils rallient directement les bateaux de la marine pour servir comme chef de quart en passerelle ou en machine. Cette mission est aussi un moment de découverte, d’ouverture d’esprit et de compréhension du monde par les escales, les rencontres ou les conférences dont ils peuvent bénéficier. C’est enfin un ciment de la cohésion pour une promotion qui va vivre une trentaine d’années au sein de la Marine.
Mailys Vicaire : La mission Jeanne d’Arc remplit donc un objectif de formation et de cohésion de groupe pour les officiers-élèves comme pour les dirigeants qui vivent ce séminaire de « leadership sous tension » à mi-parcours de leur formation. Un leader est souvent décrit comme celui que l’on a envie de suivre en dehors de toute hiérarchie ou de toutes compétences. Cela tombe bien ! En arrivant sur le bâtiment les dirigeants sont tous en zone d’inconfort et d’incompétence. Les outils pédagogiques pertinents et les expériences apprenantes que nous avons déployés avec le Capitaine de Frégate Nicolas Champs permettent à nos participants de révéler le leader qu’ils sont vraiment.
L’AMP-Parcours Dirigeants de l’EDHEC propose un séminaire « Management sous tension au sein des Armées ». Ainsi, chaque année, une promotion de dirigeants embarque sur la Mission Jeanne d’Arc pour 10 jours. Que vivent-ils exactement ?
CF NC : Idéalement je ne devrais pas vous révéler ce qu’ils viennent vivre afin que la surprise demeure entière pour les suivants. Cependant je vais vous dévoiler quelques secrets. Ils viennent découvrir comment un bâtiment de guerre fonctionne, comment la Marine s’organise pour faire travailler plus de 50 métiers, jours et nuits, pendant plusieurs mois, le tout sous la pression des opérations et parfois même sous la menace de l’ennemi. C’est une organisation complexe qui nécessite des règles strictes mais aussi de la subsidiarité, de la cohésion, de l’entraide et des ordres. Je pense que c’est un peu tout cela qu’ils viennent découvrir. Enfin cette organisation complexe se déplace sur un élément hostile : la mer ! Et cela aussi il faut s’y préparer car le bateau subit les assauts des vagues et du vent, ces mouvements incessants qui fatiguent les organismes ! Voilà donc ce que viennent chercher ces cadres : l’aventure sur un bâtiment de combat pour en comprendre les clefs et les codes ! De manière très concrète ils sont mis en situation sur des ateliers, partout dans le bateau, dans des situations de stress différentes pour réaliser des missions plus ou moins complexes. Enfin ils viennent échanger avec des marins de tous grades et de toutes formations, ce qui les inspire et leur permet sans doute de penser différemment leur métier en entreprise.
MV : Ce séminaire est un outil pédagogique précieux. Les dirigeants vivent une expérience riche et insolite qui leur permet non seulement de penser différemment leur métier en entreprise, mais surtout de mettre leur leadership, leur management, leurs méthodologies, leurs convictions à l’épreuve d’une extrême tension, dans un environnement inconnu. Ils peuvent alors révéler des aptitudes ou des fragilités qu’ils ignoraient et avec lesquelles ils pourront travailler par la suite. Un leader qui ne connaît ni ses points forts ni ses points de vigilance, ne peut pas déployer toutes ses ailes et atteindre le haut niveau auquel il aspire.
Commandant Champs, pourquoi les accueillez-vous ? Que souhaitez-vous leur inculquer, leur partager, leur transmettre ?
CF NC : Les raisons de cet accueil sont multiples mais la principale est évidemment notre connaissance mutuelle, développer le lien armées-nation. Depuis la suspension du service national nous nous rendons compte que les armées sont de moins en moins connues. Pouvoir partager nos expériences, nos passions et notre amour de la mer avec des cadres dirigeants est une chance. Pris dans le quotidien de notre activité nous oublions la singularité et le côté exceptionnel de notre métier, c’est en partageant notre expérience auprès des dirigeants que le récit de nos aventures passe du cadre commun pour un marin au cadre hors-du-commun pour ces chefs d’entreprise. Je pense que c’est cela que nous pouvons partager : le travail, l’abnégation et la volonté nous portent dans nos métiers, je pense que c’est la même chose chez un dirigeant, il doit faire preuve des mêmes qualités. Nous partageons avec eux également des valeurs, éthiques ou de cohésion par exemple, qui sont, je pense, essentielles à la réussite d’une mission, dans la Marine, comme dans une entreprise. Enfin nous essayons de leur transmettre notre polyvalence et notre capacité d’adaptation : chaque jour nous vivons une aventure différente en mer, il faut savoir adapter une procédure à la situation, il faut savoir être polyvalent pour renforcer l’équipe là où elle en a le plus besoin.
MV : Ce désir de mieux faire connaître l’Armée et plus particulièrement la Marine aux participants de l’AMP-Parcours Dirigeants est ressenti par les participants et très apprécié. Car un dirigeant doit être ouvert sur le monde, il cultive souvent une grande curiosité qui lui a permis d’évoluer, de faire preuve de créativité, de dessiner sa carrière aussi. Plongé dans un monde dont il ignore tout, il a soif de découvrir et d’apprendre. La rencontre s’opère d’ailleurs toujours entre nos participants et l’équipage.
Voyez-vous des similitudes entre le monde de l’entreprise et celui de la Marine nationale ?
CF NC : Je commençais à l’évoquer mais je pense en effet que les similitudes sont nombreuses entre un officier et un cadre, entre un commandant et un dirigeant. Dans les deux cas la clef de la réussite se situe dans la capacité à fédérer son équipe pour réussir une mission tout en faisant face aux imprévus. Je pense que cette phrase résume la mission du commandant, comme elle résume celle du dirigeant d’une entreprise. Les cadres du « Parcours Dirigeants » sont souvent marqués par l’engagement et l’autonomie de chaque militaire, quel que soit le poste ou le grade. Chez nous chacun a un (ou souvent plusieurs) rôle et il est un expert de son domaine. Il sait exactement ce qu’il doit faire, il sait rendre compte à bon escient, il sait surtout unir ses forces et ses compétences avec son voisin pour que chaque petite action mette en mouvement un bateau de plus de 20 000 tonnes.
MV : Les enjeux ne sont pas les mêmes, l’environnement est différent, mais les analogies sont en réalité nombreuses et les participants en sont souvent les premiers surpris. Ce séminaire apporte de nombreuses inspirations pour la vie en entreprise, qui vont souvent à l’encontre des idées reçues sur l’armée. Nous avons par exemple beaucoup à apprendre des armées pour gagner en agilité dans nos organisations. Avec leur culture du renseignement et des retours d’expériences, leur planification poussée à l’extrême qui permet d’envisager un maximum de scenarii possibles et leur capacité à communiquer de façon synthétique, les militaires savent redéployer une stratégie en un temps record. Car aucun plan bien sûr ne résiste à une bataille.
Un autre élément de surprise est l’autonomie laissée aux individus au sein de l’armée. Nous imaginons généralement l’armée comme un système très pyramidal qui laisse peu de place à l’initiative alors que l’on s’aperçoit du contraire. Le partage systématique du sens de la mission, la définition précise des rôles de chacun et le principe de subsidiarité (le chef ne doit jamais faire une mission qui peut être réalisée par l’échelon inférieur) favorisent une autonomie et un engagement que l’on ne retrouve pas toujours en entreprise.
Vous souvenez-vous d’anecdotes marquantes ?
CF NC : Je ne me souviens pas d’une anecdote en particulier mais plutôt de la manière dont les cadres peuvent aborder les travaux de groupes. Nous, marins, nous sommes habitués (et parfois peut être même trop formatés), à faire confiance au chef et à se répartir rapidement des missions ou tâches diverses : chacun avance dans son domaine de prédilection et nous nous retrouvons très régulièrement pour faire le point, réorienter la mission, prendre les bonnes idées des autres et confronter nos points de vue. Le groupe de dirigeants a régulièrement tendance à agir différemment lorsque nous leur confions une mission simple à réaliser : tout le monde a une bonne idée, l’exprime tout haut et veut à tout prix la partager avec les autres. Pour ne froisser personne ils prennent le temps d’élaborer une solution « intermédiaire », celle qui plaira au plus grand nombre. Cette volonté sans doute de solliciter tout le monde, de s’assurer que toutes les pistes ont été explorées, que toutes les idées ont germé et que l’on a poussé au bout la réflexion intellectuelle avant de commencer, les font parfois sortir du cadre, du cadre temps en particulier : le bateau avance ! Cette consultation et cette réflexion du temps long ne fonctionne que rarement dans l’action. Si dans nos méthodes de planification nous menons le même travail d’analyse et d’échange en amont, dans la réalisation de la mission chacun doit agir vite et bien, même s’il n’a pas tous les éléments, il doit avancer dans le « brouillard de la guerre ».
MV : J’ai été marquée par l’arrivée sur le bâtiment, qui est la première mise à l’épreuve sous tension puisqu’il est nécessaire de s’approprier rapidement les codes et les rites de la Marine nationale. Nous pouvons percevoir sur le visage des marins un sourire amusé lorsque les participants hésitent à se lancer dans les appellations qui correspondent au grade ou recherchent en tâtonnant leur poste (c’est-à-dire leur chambre) à l’emplacement D0224 sur ce bâtiment de près de 200 mètres de long. C’est également l’un des apprentissages de ce séminaire : mesurer la capacité des dirigeants à apprendre rapidement, comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent, s’adapter, faire preuve d’une agilité plus que jamais nécessaire dans les temps incertains que nous vivons.
Cette expérience est-elle aussi enrichissante pour vous et vos équipages que pour les participants de l’AMP-Parcours Dirigeants ?
CF NC : C’est surtout long et complexe à organiser (rire). Plus sérieusement c’est toujours riche d’échanger et d’avoir un regard extérieur sur nos méthodes. Je caricaturais un peu dans le paragraphe précédent mais c’est vrai que nous ne prenons peut-être pas toujours assez le temps de consulter, quand nous vous regardons travailler, cela nous donne aussi des pistes pour progresser et nous améliorer. Mais finalement ce sont les échanges informels qui sont souvent les plus riches, les anecdotes de dirigeants qui ont vécu des imprévus comme ceux que l’on rencontre en mer, des difficultés de gestion RH, comme nous rencontrons parfois avec nos marins. Les jeunes officiers en formation peuvent par exemple comparer les méthodes de leadership dispensées à l’École navale avec les expériences individuelles de dirigeants alors que les cadres de l’école d’application des officiers de marine peuvent comparer les approches et méthodes de travail en équipe.
MV : En ce qui concerne les participants, l’enrichissement est absolument sans équivoque. Par définition, ce séminaire les plonge dans une zone d’inconfort et d’incompétence : ils ne peuvent qu’apprendre ! Sur eux-mêmes avant tout : ce plongeon en univers inconnu et hostile révèle des personnalités, des talents, des travers et donne à chacun des pistes de développement sur son propre leadership. Maintenant, je ne saurais dire si l’expérience est aussi enrichissante pour les marins que pour les dirigeants. Mais les échanges se font avec visiblement un plaisir et un intérêt très réciproques. Je ne doute pas que le Capitaine de Frégate Nicolas Champs et ses équipages puisent des sujets de réflexion au contact des dirigeants. Peut-être devrions-nous d’ailleurs mettre en place un retour d’expérience plus complet afin que vous nous disiez ce que vous apprenez de nous, années après années ?
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Le séminaire « Management sous tension avec les Armées » est une expérience immersive qui révèle le manager que vous êtes et vous permet de développer votre leadership. Pour en savoir plus sur l’AMP-Parcours Dirigeants, contactez-nous [email protected]