L'introduction de quotas obligatoires de femmes dans les conseils d’administration (CA) des entreprises a été un instrument politique clé pour remédier à la sous-représentation de longue date des femmes dans les postes de pouvoir. Bien que ces politiques soient controversées, nous avons voulu analyser comment les quotas de genre pouvaient influencer non seulement la présence et la représentation des femmes, mais aussi les préférences des actionnaires et leur perception des administratrices.
Pour ce faire, nous avons étudié, dans un article récent, les effets des quotas de genre en France. Nous avons pu comparer la manière dont les caractéristiques individuelles des candidats – hommes et femmes – ont été comprises et évaluées, avant et après les quotas.
Nous constatons qu’en termes de diversité de genre, la loi française de 2011, dite Copé-Zimmermann a été, clairement et rapidement, un succès. Plus intéressant encore : nous mettons en lumière le fait que les actionnaires modifient massivement et positivement leurs perceptions des qualifications des (potentielles) administratrices, y compris leur formation et leur expérience antérieure au sein d’autres conseils d’administration. Cela a participé selon nous à une féminisation nette des CA.
Les arguments autour de quotas obligatoires
Les partisans des quotas de genre soutiennent que ces politiques sont nécessaires pour surmonter les obstacles auxquels les femmes sont confrontées pour accéder à des postes de direction. Leur argumentaire repose sur le fait que les conseils d’administration des entreprises ont été dominés par les hommes en raison des cultures organisationnelles et des pratiques de recrutement qui s’appuient fortement sur des réseaux informels, favorisant souvent les candidats masculins.
Par ailleurs, les critiques affirment que les quotas interfèrent avec la sélection méritocratique des membres des conseils d’administration. Selon eux, la sous-représentation des femmes au sein des CA n’est pas le reflet d’une discrimination, mais plutôt la conséquence d’une offre limitée de femmes qualifiées disponibles pour ces postes. Dans ce cas, imposer des quotas par sexe pourrait contraindre les entreprises à nommer des candidates moins qualifiées, ce qui réduirait en fin de compte l’efficacité du conseil d’administration et la valeur actionnariale.
Pour nous aider en partie à éclaircir ces questions, l’objectif de notre étude a été d’examiner la perception qu’ont les actionnaires des candidates au poste d’administrateur avant et après l’introduction des quotas obligatoires en France.
La loi Copé-Zimmermann en France
En France, la loi Copé-Zimmermann a imposé des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises, exigeant qu’elles atteignent des seuils de diversité de 20 % en 2014, qui sont passés à 40 % en 2017. La loi s’applique aux grandes entreprises de plus de 500 salariés ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros. Pour les entreprises ne se mettant pas en conformité, la loi imposait des sanctions sévères, y compris des restrictions sur la rémunération des membres des CA.
Si l’on s’en tient aux simples statistiques, la loi a réussi à promouvoir la diversité des genres. La France est passée de l’un des taux de représentation des femmes dans les conseils d’administration les plus bas d’Europe (8,4 %) en 2009 à plus de 43 % en 2021, ce qui fait de la France un leader en matière de diversité des genres dans ces instances.
Comment les actionnaires réagissent aux quotas de genre
Dans ce contexte, nous avons étudié les effets des quotas de genre en France, en utilisant un ensemble de données de plus de 2 700 élections d’administrateurs entre 2007 et 2020 dans les plus grandes entreprises françaises cotées en bourse. Contrairement aux études antérieures qui se concentrent sur les réactions du cours des actions lors de l’adoption des lois sur les quotas, nous évaluons les résultats des élections des administrateurs avant et après l’introduction des quotas. En étudiant la popularité individuelle des administrateurs par le biais des votes à l’assemblée générale annuelle, nous sommes en mesure d’évaluer les préférences des actionnaires liées aux caractéristiques des candidats, avant et après l’instauration des quotas.
Nous constatons que le soutien des actionnaires aux femmes administratrices a augmenté après l’introduction des quotas. Les candidates ont reçu un soutien plus important que leurs homologues masculins après l’instauration du quota, ce qui suggère que les actionnaires ont révisé positivement leur perception des qualifications des administratrices. Nos résultats indiquent que l’offre de candidates qualifiées était suffisante pour répondre à la demande accrue, et que les actionnaires n’ont pas simplement élu des femmes sous la pression de la loi.
Quotas et élimination des frictions antérieures
Les quotas par genre ont également contribué à éliminer les frictions préexistantes sur le marché du travail qui entravaient la nomination de candidates qualifiées. Avant l’introduction des quotas, la sous-représentation des femmes dans les conseils d’administration pouvait être attribuée à des pratiques de recrutement informelles et à des effets de réseau qui limitaient la visibilité des candidates. La gouvernance des entreprises françaises, en particulier, se caractérise par une dépendance à l’égard des réseaux d’élite, de nombreux membres de CA étant recrutés au sein d’un petit groupe issu d’institutions prestigieuses (grandes écoles). Ce processus de recrutement tend à marginaliser les femmes qualifiées.
Potentiellement, les quotas ont incité les entreprises à investir dans de nouvelles technologies de recherche et à élargir leur vivier de talents au-delà des réseaux traditionnels. Le processus de recrutement des membres des conseils d’administration est devenu plus efficace et plus diversifié, et les candidates possédant de solides références ont commencé à être reconnues et nommées en plus grand nombre. Nos résultats suggèrent notamment que le niveau d’études des administratrices et leur expérience antérieure ont été de plus en plus appréciés par les actionnaires après l’introduction du quota. Cela témoigne d’un changement dans la manière dont les candidates sont perçues. Nous ne trouvons pas de preuves que les entreprises sont obligées de nommer des candidates moins qualifiées pour se conformer à la loi. Au contraire, les candidates retenues étaient souvent tout aussi qualifiées que leurs homologues masculins.
Les implications plus larges des quotas de genre
L’expérience française en matière de quotas de représentation de genre est riche d’enseignements pour les autres pays qui envisagent de prendre des mesures similaires. Bien que les conséquences involontaires potentielles des quotas suscitent des inquiétudes légitimes, nos données suggèrent que les quotas peuvent être efficaces pour promouvoir la diversité des genres sans compromettre la qualité et l’efficacité du conseil d’administration telles qu’elles sont perçues par les actionnaires. En fait, les quotas de genre peuvent conduire à une réévaluation des qualifications des candidates et à l’abandon de pratiques d’embauche potentiellement discriminatoires.
En outre, ces quotas peuvent avoir des effets bénéfiques plus larges sur la société en remettant en question les normes traditionnelles en matière de genre. Lorsque davantage de femmes sont nommées dans les conseils d’administration, elles peuvent servir de modèles et de mentors pour les générations futures de femmes dirigeantes, ce qui contribue également à réduire les disparités de genre dans d’autres domaines de l’économie.
Cet article de Magnus Blomkvist, Professeur associé à l'EDHEC, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.