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3 questions à Noël Amenc (EDHEC Climate Institute) : l'actuel mandat de Donald Trump va-t-il à nouveau poser problème en matière de climat ?

Noël Amenc , Associate Professor of Finance (Singapore)

Dans cet entretien, Noël Amenc, Professeur associé en finance à l'EDHEC (Singapour) et directeur de l'EDHEC Climate Institute, jette une lumière crue sur les dernières décisions politiques, économiques et financières prises outre-Atlantique. Il appelle à un renouveau intellectuel et scientifique européen. Selon lui, l'EDHEC Business School peut et doit jouer son rôle grâce à ses atouts et à des initiatives & solutions innovantes, existantes et/ou sur le point de démarrer.

Temps de lecture :
17 fév 2025
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Suppression des budgets fédéraux pour la recherche sur le changement climatique, nouveau retrait de l'accord de Paris, législation anti-ESG et suppression de toutes les contraintes sur l'exploitation des énergies fossiles... il semble que le deuxième mandat du président Trump se soucie peu du changement climatique et que, par conséquent, la transition climatique ne soit plus un objectif de premier ordre pour le secteur financier, comme en témoigne le retrait des plus grandes banques américaines de la Net-Zero Banking Alliance. Bank of America, Citigroup, Goldman Sachs, JPMorgan Chase, Morgan Stanley et Wells Fargo ont tous annoncé leur retrait de la coalition en décembre 2024 et début janvier 2025. Fin janvier, plusieurs banques canadiennes ont suivi leurs homologues américaines. Cinq des plus grandes banques du pays - TD Bank, Banque de Montréal, Banque Nationale du Canada, Banque Canadienne Impériale de Commerce et Banque Scotia - ont également quitté l'alliance.

 

Il en va de même pour les gestionnaires d'actifs avec le retrait de BlackRock de l'initiative Net-Zero Asset Managers et la suspension des activités de l'initiative en raison de la menace de poursuites pour non-respect des obligations fiduciaires vis-à-vis de leurs clients ou de pratiques anticoncurrentielles.

 

En Europe, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer « l'écologisme extrême » de l'Union européenne et pour remettre en cause le Pact Vert (Green Deal), jusqu'ici considéré comme le projet phare de la Commission européenne. Dans un monde qui se libérerait des contraintes de la protection de l'environnement, la lutte contre le changement climatique serait synonyme de désindustrialisation de notre continent.

 

C'est dans ce contexte que nous avons interrogé le directeur de l'EDHEC Climate Institute, Noël Amenc, également Professeur associé en Finance à l'EDHEC.

 

Dans ce contexte, l'initiative que vous et l'EDHEC menez avec vos collègues singapouriens, français et britanniques au sein de l'institut a-t-elle encore un sens ?

Noël Amenc : En effet, l'élection de Donald Trump n'est pas une bonne nouvelle pour le climat, mais limiter la difficulté de mobiliser l'industrie financière sur la question climatique à ce seul événement serait un peu réducteur. 

Les États-Unis ont toujours du mal à considérer les obligations fiduciaires des fonds de pension au-delà du couple risque/rendement. Contrairement à l'Europe, où l'investissement basé sur des critères sociaux ou environnementaux est considéré comme une réponse aux obligations fiduciaires des investisseurs institutionnels, de l'autre côté de l'Atlantique, il est nécessaire de démontrer que la prise en compte de critères extra-financiers a un réel avantage financier, qu'il s'agisse d'une augmentation du rendement ou d'une réduction du risque de l'investissement. Cette focalisation fiduciaire limitée a conduit l'industrie financière à multiplier les fausses promesses et à promouvoir des recherches sans valeur pour mettre en avant l'"alpha" de l'ESG ou la réduction du risque.

On se souvient encore des affirmations délirantes de certains gestionnaires d'actifs ou investisseurs prétendant que l'ESG protège les portefeuilles des investisseurs de la crise du COVID tout en cachant que cette résilience était en réalité due à des choix sectoriels ou factoriels et qu'il n'y avait pas d'"effet ESG" observable une fois ces dimensions prises en compte.

 

De même, les calculs d'alpha ESG basés sur des méthodes ne respectant aucune rigueur académique, oubliant les dimensions traditionnelles de certains facteurs dans l'équation, ont été largement promus par les gestionnaires d'actifs et les fournisseurs d'indices et de données ESG sans aucun respect pour l'intégrité scientifique ou même simplement pour l'éthique commerciale. L'EDHEC critique et a critiqué ces pratiques (1) (2) (3) (4).

Bien sûr, qui sème le vent en matière de gestion des risques peut récolter une tempête, comme en témoignent l'effondrement de la Silicon Valley Bank, qui a préféré gérer les risques de diversification plutôt que les risques associés à son bilan, ou la faillite de l'un des principaux fonds de pension suédois, Alecta, qui s'est davantage préoccupé de promouvoir ses capacités de sélection de titres et d'engagement ESG que de diversifier les risques financiers de son portefeuille.

 

En fin de compte, en raison de l'absence de travaux sérieux sur l'importance financière des critères ESG, ceux-ci ont été perçus non seulement par de nombreux investisseurs et dirigeants politiques américains mais aussi par certains Européens comme un écart idéologique par rapport à ce que devraient être les obligations des investisseurs, à savoir une "bonne gestion", protectrice de l'épargne, et notamment des retraites. 

 

C'est cette « idéologisation » de l'investissement ESG qui constitue aujourd'hui la plus grande menace pour l'investissement climatique. Même si le risque climatique est à la fois une réalité scientifique et financière, le dénigrement de l'ESG ignore cette réalité.

Pour l'EDHEC et son nouvel institut, travailler sur la matérialité financière du changement climatique est la priorité. Et nous sommes crédibles pour le faire (5) non seulement parce que nous avons une équipe fournie et compétente dédiée à cette question, mais aussi parce que depuis plusieurs années, notamment avec l'aide du gouvernement de Singapour, nous avons constitué une plateforme avec des données sur l'exposition aux actifs réels tels que les infrastructures qui caractérisent et objectivent cette matérialité du risque climatique.

Le mandat de Donald Trump, qui aura des conséquences très négatives sur la lutte contre le changement climatique, ne déligitime pas notre effort de recherche. Au contraire, c'est une incitation à promouvoir les données les plus précises et les plus robustes possibles sur le risque climatique, et sur l'importance de sa gestion, auprès des investisseurs et des entreprises (6) plus généralement. Il faut sortir la question climatique non seulement du déni mais aussi de sa fausse assimilation au wokisme.

 

Concrètement, comment l'EDHEC Climate Institute entend-il mettre en lumière cette matérialité du risque climatique ?

Noël Amenc : La première initiative de l'Institut concerne nos recherches historiques dans le domaine du risque climatique des infrastructures, que nous avons lancées dans le cadre de l'EDHEC Infrastructure & Private Assets Research Institute

Pour la quasi-totalité des investissements en infrastructures, soit plus de 6 000 actifs aujourd'hui, nous sommes en mesure de calculer l'exposition potentielle au climat, qu'il s'agisse de risque de transition ou de risque physique. En complément de ces expositions, nous pouvons également réaliser des calculs à l'horizon 2035 et 2050 et, en qualifiant les plans de transition et de résilience de ces actifs, fournir la destruction de valeur attendue en intégrant la survenance de différents scénarios climatiques. 

Cette capacité, qui n'a pas d'équivalent dans le monde, nous permet de lancer dès 2025 une agence de notation des risques climatiques qui s'intéressera progressivement aux classes d'actifs où le changement climatique a un niveau de matérialité très élevé, qu'il s'agisse de sociétés cotées ou d'investissements immobiliers.

 

Dans une publication récente (7), nous avions montré que le risque de transition pouvait représenter plus de 600 milliards de dollars de pertes pour le seul investissement dans les infrastructures et que pour cette même classe d'actifs, le risque physique pouvait entraîner une perte de valeur de 50 % pour les portefeuilles les plus exposés. Ces chiffres sont considérables et justifient l'attention que les émetteurs et les investisseurs doivent porter à l'exposition de leurs actifs au risque climatique, quels que soient les anathèmes et les ferveurs idéologiques du moment…

 

Mais nous ne limiterons pas nos initiatives à la valorisation financière du risque climatique. L'EDHEC Climate Institute entend également jouer un rôle de premier plan dans le domaine de l'information sur les technologies de transition et de résilience qui s'offrent aux entreprises. 

Nous disposons aujourd'hui de ce qui est probablement la taxonomie des technologies vertes la plus précise et la plus complète. Cette source d'information vise non seulement à qualifier de manière objective et indépendante les investissements de transition des entreprises que nous allons noter, mais aussi à servir de guide aux émetteurs et investisseurs qui souhaitent éviter le piège du greenwashing technologique. L'idée est d'éviter que des technologies inadaptées ou inefficaces ne justifient de fausses promesses d'alignement ou de résilience.

 

Le climat est un sujet qui concerne non seulement le secteur financier, mais aussi tous les citoyens conscients que leur avenir sur la planète se jouera dans les années à venir. L'EDHEC Climate Institute va-t-il promouvoir des recherches et des initiatives qui vont au-delà du seul financement climatique, un domaine dans lequel l'EDHEC a une compétence reconnue ?

Noël Amenc : Oui, l'un des objectifs stratégiques de l'EDHEC, inscrit dans le plan stratégique 2025-2028 de l'Institut, est d'avoir un impact positif pour la planète et les générations futures. Si la contribution de l'EDHEC Climate Institute à la mesure des risques financiers liés au changement climatique doit jouer un rôle mobilisateur dans la modification des pratiques des entreprises et le financement de la transition climatique, nous souhaitons également agir directement.

Nous travaillons actuellement avec des partenaires technologiques qui ont une expertise reconnue dans le domaine spatial, en intelligence artificielle, en météorologie, et en modélisation des feux de forêts et des inondations afin de proposer des solutions innovantes dans le domaine de l'alerte et de la gestion de ces risques qui vont s'accroître et s'intensifier du fait du changement climatique.

L'Institut entend devenir un partenaire de référence non seulement des entreprises mais aussi des gouvernements afin d'améliorer la résilience climatique des régions les plus menacées par les conséquences des risques climatiques. Cette ambition s'inscrit dans la stratégie d'hybridation des compétences entre sciences de gestion et ingénierie que l'EDHEC mène depuis de nombreuses années.

 

En fin de compte, nous souhaitons aussi répondre au déni climatique de l'administration Trump, qui repose sur un refus de la science, par un activisme qui favorise la science et se démarque de toute idéologie. Notre avenir et celui de nos enfants doivent être guidés par la raison et la connaissance, et c'est le but d'un établissement d'enseignement et de recherche que de construire cette connaissance.

 

Références

(1) Amenc, N., G. Bruno and F. Goltz, January 2022, Should ESG Alpha Really be Positive? Assessing the Five Forces that Drive ESG Investment Returns, Scientific Beta Publication.

(2) Bruno, G., M. Esakia and F. Goltz, April 2022, “"Honey, I Shrunk the ESG Alpha”: Risk-Adjusting ESG Portfolio Returns,” Journal of Investing - https://www.pm-research.com/content/iijinvest/31/3/45

(3) Bruno, G., M. Esakia and F. Goltz, May 2023, “Sustainability Alpha in the Real World: Evidence from Exchange-Traded Funds,” Scientific Beta Publication - https://scientificbeta.com/factor/download/file/sustainability-alpha-in-the-real-world

(4) Pourquoi les indices et portefeuille climat ne tiennent (quasiment) pas leur promesse : retour sur une étude pionnière de l’EDHEC (2022) EDHEC Vox, N. Amenc, F. Goltz, V. Liu -

https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/pourquoi-les-indices-et-portefeuille-climat-ne-tiennent-quasiment-pas-leur-promesse-etude-pionniere-edhec

(5) Pourquoi l'EDHEC Business School est un acteur majeur de la finance durable (2024) EDHEC Vox, N. Amenc, F. Blanc-Brude, F. Ducoulombier, E. Jurczenko, E. Metais - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/pourquoi-l-edhec-business-school-est-un-acteur-majeur-de-la-finance-durable

(6) Noël Amenc: « Nous fournissons aux professionnels de la finance non seulement des résultats de recherche, mais aussi des outils dédiés et des solutions concrètes » (2024) EDHEC Vox - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/noel-amenc-professionnels-finance-resultats-recherche-outils-pertinents-solutions-concretes

(7) Amenc, N., F. Blanc-Brude, A. Gupta, B. Jayles, D. Marcelo and J. Orminski, “Highway to Hell: Climate Change will Cost Hundreds of Billions to Investors in Infrastructure”, September 2023, EDHEC Infrastructure & Private Assets Research Institute Publication - https://edhecinfraprivateassets.com/paper/highway-to-hell/

F. Blanc-Brude (EDHECinfra): “Les risques climatiques extrêmes pour les investisseurs dans les infrastructures sont colossaux et restent largement méconnus, mais aujourd'hui ils peuvent être mesurés grâce aux recherches de l'EDHEC” (2024) EDHEC Vox - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/frederic-blanc-brude-edhecinfra-risques-climatiques-extremes-investisseurs-infrastructures-colossaux-meconnus-mais-mesures-recherches-edhec