EDHEC Climate Institute : un nouveau pôle interdisciplinaire pour la recherche et l'action climatiques
Dans cet article, Anthony Schrapffer, Directeur scientifique de l'EDHEC Climate Institute, présente les ambitions de cette nouvelle initiative ancrée dans le riche écosystème de l'EDHEC Business School.
Ce pôle scientifique défend une vision intégrée, et s'appuie sur une expertise historique reconnue en matière de finance du climat tout en tirant parti de nouveaux domaines complémentaires - données spatiales, IA, réglementation... - pour produire des connaissances et des applications concrètes.
Alors que le monde vient de connaître le mois de janvier le plus chaud jamais enregistré (Copernicus EU), les événements récents nous ont rappelé l'urgence d'établir un programme climatique ambitieux. Les phénomènes météorologiques extrêmes font la une des journaux dans le monde entier, de la tempête Éowyn en Écosse, qui a privé d'électricité environ 117 000 foyers, aux incendies dévastateurs en Californie du Sud, qui ont éclaté de manière inattendue en dehors de la saison habituelle des incendies.
L'intention de pays comme les États-Unis et l'Argentine de se retirer de l'Accord de Paris suscite des inquiétudes quant à l'avenir des engagements mondiaux en matière de climat. Malgré cela, plusieurs industries à fortes émissions restent vulnérables face à l'augmentation des risques réglementaires, technologiques et commerciaux.
Des secteurs tels que les transports (aérien et maritime, par exemple les navires de croisière), l'industrie lourde (production d'acier et de ciment) et l'agriculture subissent une pression croissante en raison de leur forte intensité carbone. Des réglementations plus strictes en matière d'émissions, des mécanismes de tarification du carbone et l'évolution des préférences des consommateurs sont susceptibles d'avoir un impact sur ces secteurs, les forçant à s'adapter ou à faire face à des défis économiques et opérationnels cruciaux.
EDHEC Climate Institute: une nouvelle initiative pour la recherche sur le climat
L'EDHEC Climate Institute (ECI) s'inscrit dans la longue tradition scientifique de l'EDHEC Business School et représente un effort collectif pour relever les défis urgents du changement climatique en promouvant la recherche interdisciplinaire avec une vision plus intégrée, en s'appuyant sur une expertise historique de l'école en matière de finance du climat tout en tirant parti de nouveaux domaines complémentaires.
Dans le sillage de l'EDHEC-Risk Institute et de l'EDHEC-Risk Climate Impact Institute (1), l'EDHEC Climate Institute, récemment créé, aborde la diversité des sujets liés au changement climatique et s'engage à fournir à la société des informations transparentes et fondées sur des preuves, susceptibles de guider les entreprises, les décideurs politiques et la société civile dans son ensemble vers une action climatique éclairée et efficace.
En nous concentrant sur des solutions scientifiques plutôt que sur des débats idéologiques (2), nous pouvons aligner la diversité des parties prenantes, des gouvernements, des entreprises, des investisseurs et du grand public vers un objectif commun : construire un avenir plus résilient et durable pour tous.
Un programme de recherche fondé sur trois piliers
L'EDHEC Climate Institute vise à aborder la complexité des risques climatiques en se concentrant sur trois piliers fondamentaux : la valeur financière du risque climatique, la recherche au-delà de la finance du climat et la réglementation et les politiques climatiques.
La valeur financière du risque climatique
Le premier axe est lié à la finance du climat qui vise à quantifier le risque financier lié au climat, qu'il s'agisse des risques liés à la transition vers une économie à faible émission de carbone (risque de transition) ou des risques physiques (impacts des événements météorologiques extrêmes et du changement climatique).
Cet axe s'appuie sur une expertise historique de l'EDHEC et sur l'interaction entre des équipes travaillant sur des types d'actifs spécifiques (infrastructures (3), entreprises, immobilier) et des chercheurs travaillant sur des sujets transversaux tels que les scénarios climatiques (4), les risques physiques, les risques de transition.
L'adaptation au et l'atténuation du changement climatique sont également des sujets clés. L'équipe C-TECH, avec son expérience en génie civil, développe des bases de données de haut niveau avec les stratégies de résilience et de décarbonation spécifiques à différents secteurs ainsi que les mesures et technologies sous-jacentes (5). Cela alimente également les autres développements scientifiques.
La recherche au-delà de la finance du climat
Cet axe est un défi majeur pour l'institut, visant à développer la recherche sur le climat au-delà de notre expertise traditionnelle en tenant compte des initiatives et des partenaires locaux. Il se concentre sur la biodiversité et l'évaluation innovante des risques physiques à un niveau géo-sectoriel granulaire (6).
La recherche de l'ECI s'appuiera sur l'utilisation de données spatiales à haute résolution, y compris des données satellitaires et des modèles climatiques et d'IA (traitement du langage naturel, apprentissage automatique et grands modèles linguistiques), complétées par un engagement en faveur d'une recherche scientifique de haut niveau.
Réglementation et politiques climatiques
Le troisième axe vise à comprendre l'évolution du paysage de la réglementation et des politiques climatiques dans deux directions : en analysant les cadres réglementaires existants et en élaborant des stratégies pour soutenir la mise en œuvre efficace des solutions et de la conformité réglementaire ; il s'agit aussi d'explorer l'impact des politiques climatiques sur les industries, les économies et les sociétés, en fournissant des informations et des retours d'information aux décideurs (7).
Les défis majeurs en matière de recherche
L'Institut a pour objectif d'aborder les principaux sujets de recherche suivants.
#1 : Évaluer le risque de transition au-delà des scopes 1 et 2
Le risque de transition est traditionnellement évalué à l'aide des émissions de type 1 et de type 2, qui correspondent respectivement aux émissions directes de carbone et aux émissions associées à la consommation d'électricité. L'évaluation est souvent monétarisée en tenant compte d'une taxe carbone, qui est considérée comme un indicateur des pressions liées à la transition climatique. Toutefois, cette approche peut être trompeuse dans certains cas.
Prenons par exemple le passage du pétrole à l'électricité dans certains secteurs. L'électrification des opérations portuaires, où les navires sont tenus d'utiliser l'électricité à terre au lieu du carburant, peut entraîner une augmentation des émissions de type 2, mais une réduction des émissions globales de carbone, en particulier de type 3. De même, la recharge des véhicules électriques augmente les émissions de type 2, mais contribue à la réduction des émissions à long terme et à l'atténuation du changement climatique. En outre, certaines industries, telles que les aéroports et les ports, en particulier ceux desservant les navires de croisière, sont confrontées à des risques de transition importants car elles sont très sensibles au comportement des consommateurs et aux changements réglementaires.
Les émissions de type 3 englobent les émissions indirectes provenant des activités en amont (telles que l'approvisionnement en matières premières et la production) et des activités en aval (notamment l'utilisation et l'élimination des produits). Il s'agit donc d'une mesure clé pour évaluer correctement le risque de transition. Ces émissions sont notoirement difficiles à mesurer et souvent sous-déclarées, bien qu'elles représentent la plus grande part du risque lié au climat.
La technologie joue un rôle central dans les efforts de décarbonation, mais une question clé demeure : les solutions technologiques proposées sont-elles vraiment efficaces ou ne sont-elles que du greenwashing ? Il est essentiel d'évaluer l'efficacité réelle de ces innovations pour garantir une action climatique significative plutôt qu'une conformité "superficielle".
#2 : Approches probabilistes des scénarios climatiques
Les scénarios climatiques sont construits sur un ensemble d'hypothèses servant de projections plutôt que de prévisions stables. L'absence d'attribution de probabilité à ces scénarios limite leur utilité pratique pour la prise de décision, car la probabilité d'un scénario donné reste incertaine (4). Pour améliorer la pertinence des scénarios climatiques, il est urgent d'intégrer des approches probabilistes. L'attribution de distributions de probabilité à différentes projections permettrait de mieux mettre en œuvre les mesures de risque climatique sans considérer le pire scénario pour chaque type de risque, en adoptant une approche de « test de résistance ».
En outre, une autre limite majeure des modèles économiques climatiques actuels, tels que les modèles d'évaluation intégrée (IAM), est leur manque de granularité sectorielle. Bien que ces modèles saisissent les interactions économiques et climatiques générales, ils ne parviennent souvent pas à fournir des informations géo-sectorielles précises (6).
Les différents secteurs et régions sont confrontés aux risques climatiques de manière très spécifique, et une approche unique peut conduire à des conclusions trompeuses. Pour combler cette lacune, il faut une modélisation sectorielle plus détaillée, garantissant que les risques de transition et les risques physiques sont correctement pris en compte dans tous les secteurs et toutes les zones géographiques.
#3 : L'impact géosectoriel des risques physiques liés au climat
Les risques climatiques physiques ne se résument pas aux dommages directs qu'ils causent. Leurs effets d'entraînement peuvent avoir des conséquences indirectes importantes aux niveaux national et régional, perturbant les chaînes d'approvisionnement mondiales et la stabilité économique.
Les dommages locaux peuvent avoir des répercussions à plus grande échelle. Par exemple, les inondations de 2011 en Thaïlande ont gravement perturbé la chaîne d'approvisionnement des semi-conducteurs, affectant l'industrie électronique dans le monde entier. Plus récemment, de graves inondations à Valence, en Espagne, ont retardé la livraison du nouveau système de tramway de Lausanne en Suisse par Stadler, dont le plus grand site de fabrication se trouve à Valence. Bien que l'entreprise n'ait subi que des dommages légers, les opérations ont été perturbées car 20 % des travailleurs n'ont pas pu se rendre sur le site et le fournisseur local n'a pas pu livrer les composants essentiels. En conséquence, la livraison du tramway a été reportée de 2024 à 2025, ce qui a entraîné une baisse de 20 % de la valeur de son action.
Les efforts de recherche actuels de l'EDHEC Climate Institute visent à inclure ces impacts aux niveaux méso et macro-économiques en tenant compte de la vulnérabilité relative des différents secteurs et de la chaîne d'approvisionnement. Ils s'inscrivent également dans le cadre des efforts actuels visant à améliorer la granularité et la qualité de l'évaluation de l'impact local des risques physiques (6).
Traduire la recherche en information et action visibles et utiles
L'une des missions essentielles de l'ECI est de veiller à ce que la recherche sur le climat ne reste pas confinée aux cercles universitaires, mais se traduise activement par des connaissances exploitables pour les décideurs politiques, les entreprises et le grand public. C'est pourquoi l'ECI s'engage dans la recherche appliquée, en se concentrant sur des solutions concrètes (8).
La recherche scientifique sur les risques liés au climat est souvent très technique, ce qui rend difficile l'interprétation et la mise en œuvre à grande échelle des résultats. L'ECI vise à garantir que les avancées scientifiques soient effectivement communiquées de manière pratique et claire. L'institut entend s'engager auprès des décideurs politiques, à sensibiliser le public et à développer les connaissances dans divers secteurs et au sein de la société afin que ses recherches puissent avoir un réel impact.
L'un des principaux obstacles à une action efficace en faveur du climat est le manque de données transparentes, normalisées et facilement accessibles. L'ECI s'engage à promouvoir des plateformes de données en libre accès, afin de garantir que les recherches liées au climat, les modèles de risques financiers et les stratégies d'adaptation soient accessibles à toutes les parties prenantes concernées.
Références
(1) Pourquoi l'EDHEC Business School est un acteur majeur de la finance durable (2024) EDHEC Vox. Noël Amenc, Frédéric Blanc-Brude, Frédéric Ducoulombier, Emmanuel Jurczenko, Emmanuel Métais - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/pourquoi-l-edhec-business-school-est-un-acteur-majeur-de-la-finance-durable
(2) 3 questions à Noël Amenc (EDHEC Climate Institute) : l'actuel mandat de Donald Trump va-t-il à nouveau poser problème en matière de climat ? (2025) EDHEC Vox. Noël Amenc - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/3-questions-noel-amenc-edhec-climate-institute-mandat-donald-trump-nouveau-probleme-climat
(3) Changement climatique : des investisseurs dans les infrastructures conscients du risque mais ignorant comment le mesurer (2024) EDHEC Vox. Noël Amenc, Frédéric Blanc-Brude et Alice James - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/changement-climatique-investisseurs-infrastructures-conscients-risque-ignorent-mesurer-gerer
(4) Quels problèmes posent les scénarios climatiques, et comment les résoudre ? (2024) EDHEC Vox. Riccardo Rebonato - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/quels-problemes-posent-scenarios-climatiques-comment-les-resoudre
(5) Rob Arnold (EDHEC Climate Institute) : « Les investisseurs recherchent plus de transparence sur l'évaluation des risques et les mesures prises pour améliorer la durabilité des infrastructures » (2024) EDHEC Vox. Rob Arnold - https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/rob-arnold-edhec-risk-climate-investors-are-seeking-more-transparency-risk-assessment-actions-improve-sustainability-infrastructure
(6) Nicolas Schneider (EDHEC Climate Institute) : « Pour les investisseurs et les entreprises, une meilleure granularité des informations sur les risques physiques signifie une meilleure capacité d'adaptation aux chocs futurs » (2025) EDHEC Vox. Nicolas Schneider - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/nicolas-schneider-investisseurs-entreprises-meilleure-granularite-informations-risques-physiques-capacite-adaptation-chocs-futurs
(7) Finance de la transition, transition de la finance (2024) EDHEC Vox. Frédéric Ducoulombier - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/finance-de-la-transition-transition-de-la-finance
(8) Noël Amenc: « Nous fournissons aux professionnels de la finance non seulement des résultats de recherche, mais aussi des outils dédiés et des solutions concrètes » (2024) EDHEC Vox. Noël Amenc - https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/noel-amenc-we-provide-finance-decision-makers-research-accurate-tools-concrete-solutions