Prix des actifs : les gestionnaires de fonds jouent un rôle clé dans la prise en compte des préoccupations environnementales
Dans un article récent (1), Teodor Dyakov et Dominic O'Kane, professeurs à l'EDHEC, étudient l'impact d'événements climatiques marquants sur les décisions d'investissement prises par plus de cinq mille gestionnaires de fonds à travers le monde. Mettent-ils à jour leurs préférences pour les actifs "responsables" (i.e verts) à la suite de vagues de chaleur prolongées ? Cela est-il informatif pour les risques et les rendements des investissements durables ?
La promesse de l'Accord de Paris et l'incertitude du comportement des investisseurs
L'Accord de Paris, signé en 2015, prévoit que l'augmentation de la température moyenne mondiale reste inférieure à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Il demande spécifiquement que « les flux financiers [soient rendus] compatibles avec un profil d'évolution vers de faibles émissions de gaz à effet de serre et un développement résilient au changement climatique » (ONU, 2015) (2).
Les attentes du public soulèvent la question du rôle joué par les fonds communs de placement (mutual funds). Les gestionnaires de fonds sont ce que l'on appelle des « investisseurs marginaux », c'est-à-dire que, en raison de leur importance sur les marchés financiers, leurs décisions sont susceptibles de déterminer l'orientation des prix des actifs.
En règle générale, si les fonds en tant que groupe achètent une action, son prix est susceptible d'augmenter. Pourtant, la compréhension actuelle de la manière dont les gestionnaires de fonds intègrent les préoccupations environnementales dans leurs décisions d'investissement est limitée.
Investissements dans des valeurs « vertes » par des gestionnaires à la suite d'événements climatiques extrêmes
Dans leur récent article intitulé « Climate Salience and the Demand for Green Stocks by Mutual Funds » (1), T. Dyakov et D. O'Kane ont rassemblé un échantillon couvrant les décisions d'investissement de 5 189 fonds communs de placement, actifs dans 242 lieux distincts à travers 24 pays différents.
En raison de la localisation internationale des gestionnaires d'actifs, l'article exploite les variations transversales de la place accordée au climat, ce qui permet aux auteurs d'identifier un contrefactuel clairement défini. Par exemple, un gestionnaire basé à Paris est susceptible de revoir ses convictions sur le changement climatique à la suite d'une vague de chaleur en France, alors qu'un gestionnaire basé à New York ne le ferait pas.
Ainsi, les auteurs comparent les décisions d'investissement d'un « groupe traité » (ou groupe expérimental) de fonds soumis à des températures climatiques extrêmes (c'est-à-dire que les préoccupations liées au changement climatique deviennent plus « saillantes ») à celles d'un « groupe témoin » (ou groupe contrôle) de fonds non soumis à des températures extrêmes.
Les auteurs utilisent les émissions des entreprises comme indicateur de la qualité environnementale des actions, au lieu des notations ESG, très contestées. Les niveaux et les intensités d'émission sont relativement faciles à interpréter et à comprendre et sont populaires tant auprès des universitaires que des praticiens.
T. Dyakov et D. O'Kane montrent que les gestionnaires réagissent à l'augmentation de la prépondérance du climat en augmentant les investissements dans les actifs verts. Par exemple, lorsque les températures moyennes des 12 mois précédents dépassent un écart-type de température, soit 2 degrés Fahrenheit ou 1,1 degré Celsius, une baisse attendue de 10 % du niveau d'émissions d'une entreprise est associée à une augmentation de 3 % du nombre de fonds achetant ses actions au cours d'un trimestre donné. Ainsi, dans l'ensemble, les évolutions climatiques sont associées à un « verdissement » des investissements des gestionnaires de fonds communs de placement.
Les modèles de négociation et de rendement documentés par les auteurs indiquent que ces changements de la demande sont motivés par une mise à jour de la perception des gestionnaires sur le changement climatique. Il est important de noter que les décisions d'investissement des fonds « traités » conduisent à une surperformance ultérieure des actions achetées par les gestionnaires de fonds par rapport aux actions qu'ils vendent. Cette surperformance dure deux trimestres et n'est pas suivie d'inversions.
L'augmentation de la performance est conforme à la théorie de Pastor et al. (3). Dans cette théorie, la surperformance des actions vertes peut être attribuée à :
a) une réévaluation des flux de trésorerie des entreprises vertes par rapport aux entreprises brunes, et
b) une augmentation de la fraction pondérée en fonction de la richesse des investisseurs soucieux de l'environnement.
Les auteurs élaborent une stratégie de trading simple qui exploite la surperformance des actions vertes et constatent qu'elle génère 0,36 % par mois après ajustement pour l'exposition aux facteurs de risque communs.
Pourquoi est-ce important ?
Plusieurs études théoriques et empiriques montrent que les "entreprises vertes" surpassent les "entreprises brunes" à la suite d'une augmentation des préoccupations environnementales (3) (4). Il manque cependant une pièce au puzzle : quels acteurs financiers contribuent à ces effets ?
L'étude de Dyakov et O'Kane apporte une réponse : lorsque les préoccupations environnementales augmentent, les gestionnaires de fonds communs de placement augmentent leur demande en actions vertes, ce qui entraîne une surperformance des actions vertes par rapport aux actions brunes. Ainsi, si les préoccupations environnementales augmentent à l'avenir, nous pourrions observer des tendances de prix similaires.
Références
(1) Climate Salience and the Demand for Green Stocks by Mutual Funds (2024) T. Dyakov and D. O'Kane, SSRN paper - https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=5008435
(2) Paris Agreement. United Nations Treaty Collection (2015) Page 3 - https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/paris_agreement_english_.pdf
(3) Pastor, L., Stambaugh, R. F., and Taylor, L. A. (2021). Sustainable investing in equilibrium. Journal of Financial Economics, 142(2):550–571 - https://doi.org/10.1016/j.jfineco.2020.12.011
(4) Ardia, D., Bluteau, K., Boudt, K., and Inghelbrecht, K. (2022). Climate Change Concerns and the Performance of Green Versus Brown Stocks. Management Science - https://doi.org/10.1287/mnsc.2022.4636
Choi, D., Gao, Z., and Jiang, W. (2020). Attention to Global Warming. The Review of Financial Studies, 33(3):1112–1145 - https://doi.org/10.1093/rfs/hhz086
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