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Scores ESG vs. 'exclusions ESG' : que nous apprend la comparaison de ces deux méthodes ?

Vincent Bouchet , Scientific Portfolio (an EDHEC Venture) ESG Director
Aurore Porteu de La Morandière , Scientific Portfolio ESG Researcher
Shahyar Safaee , Scientific Portfolio (an EDHEC Venture) Director of Business Development
Jeanne Jones , Scientific Portfolio (An EDHEC Venture)
Mathieu Joubrel , ValueCo

Dans leur dernière étude (1), les chercheurs Vincent Bouchet, Jenna Jones, Aurore Porteu de La Morandière et Shahyar Safaee de Scientific Portfolio (an EDHEC Venture), ainsi que Mathieu Joubrel de ValueCo, examinent la relation entre deux stratégies centrales en matière d'investissement durable : l'intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), basée sur les scores ESG, et l'exclusion (screening), qui cible les entreprises impliquées dans des activités ou des comportements controversés. En analysant 130 indices boursiers européens et 387 indices boursiers américains (en date de septembre 2024), l'étude permet de déterminer si ces approches conduisent à des décisions similaires en matière de gestion de portefeuille durable.

Temps de lecture :
14 fév 2025
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Pourquoi comparer les scores ESG et les exclusions ?

L'investissement durable, qui représente aujourd'hui plus de 30 000 milliards de dollars dans le monde (2), repose sur plusieurs stratégies. Parmi celles-ci, l'intégration ESG attribue aux entreprises des scores qui reflètent leurs pratiques en matière de soutenabilité et éclairent l'allocation des portefeuilles financiers, tandis que l'exclusion ou filtrage négatif exclut les entreprises impliquées dans des activités controversées - telles que l'extraction de combustibles fossiles ou la production d'armes - ou celles associées à des comportements litigieux comme la corruption.

Malgré leur prévalence, ces méthodes utilisent des sources de données différentes et peuvent conduire à des portefeuilles « durables » divergents.

 

Les scores ESG, en particulier, ont fait l'objet d'un vif débat et sont connus pour présenter des variations considérables d'un fournisseur à l'autre, comme le soulignent des articles académiques récents (3).

Pour tenir compte de cette hétérogénéité, cette étude utilise une base de données unique fournie par ValueCo (4) qui agrège les scores ESG de plus de cinq gestionnaires d'actifs pour chaque émetteur d'actions.

 

À partir de ces données, les auteurs étudient deux questions clés (1) : les scores ESG élevés excluent-ils naturellement les entreprises dites "nuisibles" ? Le filtrage par exclusion peut-il améliorer les scores ESG lorsqu'il est combiné à l'intégration ESG ?

 

Limites des scores ESG dans l'identification des entreprises "nuisibles"

L'étude révèle que les scores ESG ne suffisent pas à eux seuls à garantir le respect des principes visant à « ne pas causer de dommages significatifs » ("do no significant harm"). Les scores ESG élevés, que ce soit au niveau de l'entreprise ou du portefeuille, ne permettent souvent pas d'exclure les entreprises impliquées dans des activités nuisibles. Par exemple, aux États-Unis, 41 des 97 indices ayant les scores ESG les plus élevés (quartile supérieur) détiennent plus de 8 % d'entreprises signalées comme nuisibles selon des critères d'exclusion consensuels (5). Pareillement, environ 10 % des entreprises de l'indice de référence de la zone Europe ayant les scores ESG les plus élevés sont impliqués dans des activités ou des comportements controversés suivant les critères d’un niveau classique d’exclusion.

 

Ces écarts peuvent s’expliquer par la manière dont sont construits les scores ESG. Alors que les filtres d'exclusion ciblent des activités ou des controverses spécifiques, les scores ESG évaluent un éventail plus large de facteurs et les pondèrent pour produire un score unique. Une entreprise peut obtenir un score élevé en matière de gouvernance ou de mesures sociales, tout en ne répondant pas aux critères liés au climat.

 

Un impact positif des exclusions sur les scores ESG

Les chercheurs mettent en lumière le fait que le filtrage par exclusion permet non seulement d'identifier les entreprises nuisibles, mais aussi d'améliorer les scores ESG du portefeuille. Les critères d'exclusion ont tendance à éliminer les entreprises ayant des scores ESG plus faibles, ce qui augmente le score moyen du portefeuille restant. Par exemple, l'application d'exclusions basées sur les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies (5) permettrait d'augmenter les scores ESG moyens pondérés des indices américains jusqu'à 5 points (les scores sont normalisés entre 0 et 100).

 

Cependant, l'impact des exclusions varie en fonction du profil ESG initial du portefeuille. Pour les indices qui affichent déjà des scores ESG élevés, les exclusions ont peu d'effet, car la plupart des entreprises ayant de faibles scores ESG ont déjà été filtrées. Cela indique une possible complémentarité entre l'intégration ESG et le filtrage par exclusion, en particulier pour les portefeuilles dont la performance ESG initiale est modérée ou faible.

 

Différences régionales : Europe vs. États-Unis

L'étude met également en évidence des différences régionales dans l'interaction entre les scores ESG et les exclusions. Les indices européens affichent généralement des scores ESG plus élevés que leurs homologues américains, ce qui reflète les variations régionales en matière de réglementations sur le développement durable et d'attentes du marché.

Cependant, la proportion d'entreprises "nuisibles" exclues par consensus et par critères liés au climat est comparable d'une région à l'autre, ce qui indique que les activités nuisibles ne se limitent pas à un seul marché.

 

Il est intéressant de noter que les portefeuilles américains ont montré de plus grandes améliorations dans les scores ESG après les exclusions, ce qui suggère que les indices américains ont une plus grande marge de progression. Cela souligne l'importance du contexte régional dans l'application des stratégies d'investissement durable.

 

Implications pratiques pour les investisseurs

Pour les gestionnaires de fonds, ces résultats soulignent les limites de la seule utilisation des scores ESG pour construire des portefeuilles durables. Les scores ESG fournissent des informations précieuses sur la performance globale d'une entreprise, mais peuvent ne pas révéler certaines activités nuisibles. 

En revanche, le filtrage par exclusion offre une approche ciblée pour aligner les portefeuilles sur des objectifs durables et climatiques. L'étude souligne également la nécessité de la transparence dans les méthodologies d'exclusion afin de garantir que les stratégies d'exclusion soient conformes aux attentes des parties prenantes et aux exigences réglementaires.

 

Perspectives : concilier objectifs financiers et durabilité

L'une des principales conclusions de l'étude est que la sélection par exclusion ne nuit pas à l'intégration des critères ESG, mais la complète. La prochaine étape naturelle consisterait à anticiper l'impact financier de ces exclusions, un sujet abordé dans Porteu de la Morandière, Vaucher et Bouchet (2025) (5). Les auteurs constatent que l'application d'exclusions basées soit sur des critères consensuels, soit sur des critères climatiques a un impact relativement faible sur le profil de risque et de rendement financier des indices et que cet impact peut être encore réduit grâce à des méthodes de réallocation optimisées.

Cependant, les chercheurs avertissent que des exclusions strictes, telles que celles basées sur des objectifs de développement durable, peuvent entraîner des erreurs de suivi (tracking errors) et des écarts sectoriels plus importants, soulignant la nécessité pour les investisseurs de bien arbitrer les compromis entre objectifs financiers et extra-financiers.

 

Alors que l'investissement durable continue d'évoluer, l'intégration de stratégies complémentaires telles que les scores ESG et les exclusions jouera probablement un rôle essentiel dans l'élaboration de la prochaine génération de pratiques d'investissement responsable.

 

 

Références

(1) Bouchet, V., Jones, J., Joubrel, M., Porteu de La Morandière, A. & Safaee, S. (2024) Do ESG Scores and ESG Screening Tell the Same Story? Assessing their Informational Overlap. Scientific Portolio White Paper. Available at: https://scientificportfolio.com/knowledge-center/?file=2024-12-do-esg-scores-and-esg-screening-tell-the-same-story.pdf

(2) Global Sustainable Investment Review 2022, GSI-Alliance - https://www.gsi-alliance.org/members-resources/gsir2022/

(3) See for example Berg, F., J.F. Koelbel & R. Rigobon (2022). Aggregate confusion: The divergence of ESG ratings. Review of Finance 26(6): 1315-1344 - https://doi.org/10.1093/rof/rfac033

Gibson Brandon, R., S. Glossner, P. Krueger, P. Matos & T. Steffen. (2022). Do responsible investors invest responsibly? Review of Finance 26(6): 1389-1432 - https://doi.org/10.1093/rof/rfac064

(4) ValueCo specialises in collecting proprietary extra-financial assessments developed internally by asset managers to provide an ESG market view, similar to an ESG bid-offer system for financial markets. See https://www.valuecometrics.com/en

(5) For more information about these criteria, see Porteu de La Morandière, A., Vaucher, B., & Bouchet, V. (2025). Do exclusions have an effect on portfolio risk and diversification? The Journal of Impact and ESG Investing, [Forthcoming]

And see EDHEC Vox (oct. 2024) "From Exclusions to Returns: Evaluating the Financial Risks of Responsible Investing" (Bouchet et al.)

 

 

Photo by Mathieu Stern via Unsplash

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