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Soutenabilité, comptabilité et récits : comment sortir de la superficialité ?

Bastiaan Van Der Linden , Associate Professor

Dans cet article, Bastiaan Van Der Linden, Professeur associé à l'EDHEC, tente d'apporter une nouvelle perspective sur la manière dont les entreprises peuvent (re)définir, traiter et rendre compte de la valeur produite, dans toutes ses dimensions, tout en se concentrant sur le potentiel sous-estimé des récits comptables - à l'opposé de la "poudre aux yeux" associée à certaines pratiques.

Temps de lecture :
19 nov 2024
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Dans un monde où les entreprises sont de plus en plus tenues responsables de leur impact environnemental et social, les mesures traditionnelles de la valeur financière ne suffisent plus. Les entreprises ont commencé à communiquer toutes sortes de données sur leurs performances en matière de développement durable et mettent de plus en plus en place des récits pour accompagner ces données. La plupart du temps, ces récits sont perçus comme étant superficiaux - souvent, pour de bonnes raisons.

 

Dans notre article récemment publié (1), mes coauteurs et moi-même tentons d'apporter une nouvelle perspective sur la manière dont les entreprises peuvent aborder et rendre compte de la valeur, et nous nous concentrons sur le potentiel sous-estimé des récits comptables dans ce contexte. Notre concept redéfini de la valeur peut servir de base à la mise en place de pratiques plus durables et à l'élaboration de récits comptables qui peuvent réellement jouer un rôle en donnant un sens aux performances fournies par les entreprises.

 

Comprendre la valeur dans le contexte du développement durable et du reporting

L'évolution du rôle des entreprises dans la société nous oblige à repenser la manière dont la valeur est définie, mesurée et communiquée. La réussite financière n'est plus le reflet complet de la valeur d'une entreprise ou de sa contribution à un avenir plus durable, et les entreprises cherchent des moyens de créer des récits qui reflètent cette réalité, en particulier dans leurs rapports annuels et leurs rapports sur le développement durable.

 

Au cœur de notre recherche ( 1) se trouve l'idée que le concept de « valeur » doit être redéfini. Historiquement, la valeur dans les entreprises était presque exclusivement liée à des résultats financiers, tels que les flux de trésorerie, les marges bénéficiaires et la rotation des stocks. Et les performances associées ont généralement été comprises comme visant à augmenter ou même à maximiser ces types de valeur.

Récemment, nous avons commencé à redéfinir la valeur et à élargir le champ d'action pour inclure des valeurs non financières qui sont cruciales pour une croissance durable, telles que la santé des écosystèmes, l'équité sociale et la responsabilité des entreprises. Une compréhension plus large de la valeur devrait s'accompagner, selon nous, d'une prise de conscience que l'augmentation et la maximisation sont sans doute beaucoup trop limitées pour appréhender les performances attendues des entreprises. Peut-être que la plupart des valeurs financières doivent être augmentées ou maximisées, mais d'autres types de valeurs peuvent nécessiter des réponses différentes telles que le respect, le maintien, l'utilisation ou même la minimisation.

 

Cette vision pluraliste de la valeur offre un cadre plus riche et plus souple pour évaluer le succès et planifier l'avenir. La perspective métaéthique que nous apportons à cette discussion est cruciale : elle encourage les entreprises à ne pas considérer la valeur comme quelque chose qui devrait toujours être augmenté ou maximisé.

 

Au-delà de la superficialité : les récits comme base d'une "comptabilité de la soutenabilité"

Notre deuxième contribution clé réside dans le rôle de la comptabilité en tant qu'outil permettant d'intégrer la soutenabilité dans les rapports d'entreprises. Les pratiques comptables actuelles ne parviennent souvent pas à saisir l'ensemble de la valeur créée. Nous défendons le fait que si les systèmes comptables doivent évoluer pour inclure ces dimensions, c'est-à-dire donner une image plus complète de la performance d'une entreprise, les récits deviennent alors un outil indispensable pour identifier les types de valeur selon la situation d'une entreprise - et pour déterminer les performances que ces types de valeur requièrent.

 

Ce rôle des récits semble encore plus important si l'on se rend compte que la détermination des performances requises est un processus holistique qui implique tous les types de valeurs avec lesquelles une entreprise est engagée. Chaque entreprise opère dans un cadre qui lui est propre et doit raconter son histoire individuelle sur la valeur en jeu et sur la manière de s'en emparer.

 

Nous introduisons donc l'idée que les récits comptables sur une valeur "multiple" devraient logiquement précéder la présentation des performances. Ils devraient non seulement refléter les différents types de valeurs en jeu, mais aussi décrire les types de performances requises par ces valeurs. Par exemple, une entreprise peut avoir besoin de démontrer comment elle doit à la fois respecter la biodiversité ou promouvoir le bien-être social. Les indicateurs et les objectifs appropriés pour rendre compte de ces performances dépendent de la manière dont ils s'intègrent dans la situation propre à l'entreprise.

 

Notre analyse du rapport annuel d'Unilever illustre concrètement la manière dont ces critères métaéthiques peuvent guider les entreprises dans l'élaboration de récits reflétant une compréhension plus globale de la valeur. En s'assurant que les récits identifient les performances requises, les entreprises peuvent présenter un compte-rendu plus précis et plus engagé de leurs contributions à la soutenabilité.

 

Implications pour les entreprises, les cabinets et les décideurs

Pour les entreprises, notre travail offre une feuille de route pour adopter une vision plus large et plus inclusive de la valeur et pour rendre compte de cette vision à travers des récits et des chiffres. Cette approche peut contribuer à aligner les stratégies business sur les objectifs de soutenabilité à long terme, permettant ainsi aux entreprises de relever les défis complexes d'un monde en mutation. Elle encourage les entreprises à réfléchir et à rendre compte de la manière dont elles peuvent contribuer au bien-être de la société, tout en maintenant leur viabilité financière. Elle offre également des outils narratifs concrets pour réaliser des analyses de matérialité doubles, comme l'exige la nouvelle législation sur les rapports CSRD.

 

Pour les décideurs et les cabinets de comptabilité et d'audit, notre travail souligne le besoin urgent de cadres qui peuvent soutenir et encourager des analyses de matérialité crédibles et systématiques qui seront inévitablement narratives et chiffrées par nature. L'économie mondiale est confrontée à des défis croissants liés à la durabilité, et il est essentiel que les normes comptables évoluent pour refléter ces nouvelles réalités. Les décideurs politiques devraient inciter les entreprises à adopter des approches complètes et transparentes en matière de rapports sur le développement durable. À cet égard, le CSRD constitue un pas en avant.

 

Il est nécessaire de poursuivre les travaux de recherche sur les approches systématiques des récits dans la comptabilité de durabilité afin que les utilisateurs des différents rapports et reportng puissent commencer à croire qu'ils représentent plus qu'une simple poudre aux yeux...

 

 

Références

(1) Van der Linden, B., Wicks, A.C. & Freeman, R.E. How to Assess Multiple-Value Accounting Narratives from a Value Pluralist Perspective? Some Metaethical Criteria. J Bus Ethics 192, 243–259 (2024). https://doi.org/10.1007/s10551-023-05385-1

 

Photo par Kelly Sikkema via Unsplash

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