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Dépasser le concept de RSE, une nécessité

Ludovic Cailluet , Professor, Associate Dean
Rene Rohrbeck , Professor, Foresight, Innovation and Transformation Chair Director

Dans cet article, initialement publié dans le magazine EDHEC Vox n°15 - et également disponible sur ladn.eu - Ludovic Cailluet, Professeur, Doyen associé, Centre for Responsible Entrepreneurship, et René Rohrbeck, Professeur, Directeur du Centre for Positive Business, reviennent sur le concept de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qu'ils appellent à dépasser grâce au nouveau cadre de l'entreprise net positive.

Temps de lecture :
28 jan 2025
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Certains concepts ont bouleversé le monde économique. L’un des derniers en date : la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ou Corporate Social Responsability (CSR), véritable moteur de transformation des entreprises. Comment replacer l’émergence de ce terme dans l’histoire de la pensée économique ? Et pourquoi est-il urgent aujourd’hui de le dépasser ?

 

« On pourrait certainement en trouver des traces plus anciennes, mais c’est véritablement au XIXe siècle qu’émergent les premières réflexions autour de l’entreprise responsable sous les traits du socialisme utopique de Robert Owen et Charles Fourier », introduit Ludovic Cailluet, doyen associé du Centre for Responsible Entrepreneurship. Amélioration des conditions de travail, prise en charge des besoins primaires à l’extérieur de l’usine (santé, logement, éducation des enfants)… Fourier est même allé plus loin en inventant les phalanstères, sortes de communautés coopératives autogérées dont on a retrouvé l’état d’esprit au sein d’entreprises telles que Pechiney dans les Alpes, qui va construire dès le début du XXe siècle des logements, écoles, dispensaires, ou encore des équipements sportifs.

 

Dans le même temps, on avance sur ces questions aux États-Unis à mesure que naît le management, avec l’apparition de dirigeants salariés non propriétaires qui représentent une profession nouvelle et s’interrogent sur le contrat qui lie l’entreprise à la société. « Ce fut le cas par exemple d’Alfred Sloan, le président du constructeur automobile General Motors, connu pour ses actions philanthropiques », indique Ludovic Cailluet. En matière de don aux bonnes œuvres, on pourrait aussi citer John Davison Rockefeller ou encore Dale Carnegie.

 

La RSE, un concept déjà vieux d’un demi-siècle

À l’origine, ces bonnes intentions sont souvent doublées de convictions religieuses, comme le démontre l’économiste américain Howard Bowen dans son ouvrage Social Responsibilities of the Businessman (1953). Considéré comme le père de la RSE, ce protestant pratiquant s’inspirait d’une tradition éthique chrétienne qui valorise la justice sociale, l’intégrité et la responsabilité envers autrui. Pour lui, les entreprises doivent chercher non seulement à maximiser leurs profits, mais aussi à contribuer positivement à la société.

 

Il faut cependant attendre les années 1970 pour voir émerger les sujets environnementaux dans le conscient collectif, avec la prise en considération de l’impact délétère des activités humaines sur la planète. En 1979, le concept de RSE est popularisé avec l’ouvrage Corporate Social Responsibility : Will Industry Respond to Cutbacks in Social Program Funding? d’Archie B. Carroll. Le professeur de management introduit la notion de pyramide de la responsabilité sociale des entreprises, qu’il décline en trois niveaux : la responsabilité économique, légale, éthique et philanthropique.

 

« Avec la RSE, le dirigeant ne doit plus uniquement se contenter de satisfaire ses actionnaires, mais s’intéresser à l’ensemble des facteurs. Cela a constitué un fondement théorique très important, mais il est nécessaire aujourd’hui de le renouveler pour répondre aux enjeux actuels. Le problème de la RSE étant qu’elle agit souvent en correction quand il faudrait qu’elle soit prépondérante en amont », précise Ludovic Cailluet. Autrement dit, une industrie polluante va planter des arbres pour tenter de compenser ses externalités négatives, mais son impact net global demeurera négatif. Autre limite, et pas des moindres : la RSE est généralement considérée comme une activité périphérique de l’entreprise, comme en témoigne l’absence de ses représentants dans la majeure partie des comex.

 

L’entreprise net positive, pour un nouveau cadre théorique

Sans balayer l’héritage de la RSE, il semble aujourd’hui opportun de bâtir sur ses fondations pour se concentrer sur de nouveaux cadres théoriques. Ces derniers sont aujourd’hui déjà structurés : économie circulaire, entreprise à mission ou encore entreprise net positive conceptualisée par l’entrepreneur et théoricien Paul Polman. « Le concept d’entreprise à impact net positif nous invite à réfléchir à tous les impacts qu’une entreprise a sur la planète, les personnes, et l’écosystème qui l’entoure », résume René Rohrbeck, professeur et directeur de la chaire Prospective, Innovation et Transformation. « C’est une entreprise qui donne plus qu'elle ne prend. Le narratif est donc différent de celui de la RSE, qui était plus négatif. Avec ce nouveau système de pensée, l’entreprise peut parvenir à régénérer son écosystème » , explique encore celui qui est en train de créer le Centre for Net Positive Business de l’EDHEC.

 

Outre la question du climat ou de la biodiversité, l’entreprise va donc mesurer son impact sur la santé, l’éducation, la nutrition, la création de connaissances ou encore d’infrastructures sociales. « Désormais, la comptabilité doit intégrer les enjeux de double matérialité, c’est-à-dire pas seulement la finance traditionnelle, mais aussi la matérialité environnementale et sociale », ajoute Ludovic Cailluet. Une évolution où les outils à l’image auront aussi toute leur place, comme l’anticipe la startup finlandaise qui a créé en 2017 la plateforme Upright. Celle-ci distingue différentes catégories d’impact (société, connaissances, santé et environnement), qui sont mesurées en traitant des données disponibles publiquement et en les compilant en quelques indicateurs qui peuvent être comparés dans le temps, entre entreprises d’un même secteur et entre différents secteurs.

 

« L’un des enjeux pour basculer vers ce modèle est de redonner du pouvoir de décision au dirigeant en lui fournissant toutes les informations nécessaires pour adopter le bon business model et “scaler” les effets positifs qu’il peut avoir sur son environnement. Et ce n’est pas une question de taille : startup ou grand groupe, tout le monde peut opérer cette transformation en avançant de concert avec le reste de l’écosystème » , conclut René Rohrbeck.

 

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Cet article est issu du magazine EDHEC Vox n°15 sur le thème des entreprises net positives. Pour le parcourir dans son intégralité, c'est par ici :

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In English - online (Calaméo)

 

Photo de kazuend sur Unsplash

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