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En oubliant la dimension sociale, l'économie circulaire passe-t-elle à côté d'une opportunité ?

Thomas B. Long , Associate Professor

Dans cet article, Thomas B. Long, professeur associé à l'EDHEC, souligne comment, malgré les progrès récents, de nombreuses initiatives d'économie circulaire intègrent trop peu - voire excluent - la dimension sociale, et il analyse pourquoi cela pourrait menacer leur acceptabilité et leur efficacité.

Temps de lecture :
12 déc 2023
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Le développement durable est clairement à l'ordre du jour des conseils d'administration et des gouvernements, et l'économie circulaire apparaît comme l'une des modalités les plus prometteuses. Cette dernière cherche à remplacer le modèle linéaire actuel de production et de consommation ("extraire-produire-jeter"), par un modèle axé sur la réduction, la réutilisation, le recyclage et la récupération des matériaux. L'économie circulaire peut apporter toute une série d'avantages aux entreprises : réduction des coûts, meilleure réputation, nouvelles possibilités de collaboration et d'innovation, voire nouveaux modèles de revenus.

Toutefois, malgré les progrès récents, les initiatives d'économie circulaire négligent ou excluent souvent la dimension sociale de la durabilité, ce qui menace leur efficacité et leurs effets sociaux.

 

Où en sommes-nous ?

The early promise of the circular economy has borne fruit. Leading countries such as the Netherlands boast circularity rates of nearly 25% (1), although globally, the rate stands at 8%. Start-ups are getting in on the act as well, with recent multi-million-dollar financing successes. Examples include Paris-based Back Market ($510 million) that sells refurbished consumer electronics (2), or Twig, which provides instant cash for individuals looking to sell used fashion or electronics ($35 million) (3).

The circular economy is on a strong footing. Yet, it is argued that wider social implications have been missed or ignored, and too much emphasis has so far been placed on environmental aims. This lack of focus on social factors is problematic, as circular economy initiatives often have social impacts, while social factors can also affect the success of the circular economy. In this sense, we see a two-way relationship.

Les promesses initiales de l'économie circulaire ont porté leurs fruits. Des pays pionniers tels que les Pays-Bas affichent des taux de circularité de près de 25 % (1), alors qu'à l'échelle mondiale, ce taux s'élève à 8 %. Les start-ups sont également de la partie, avec des financements récents de plusieurs millions de dollars. Parmi les exemples, citons Back Market (510 millions de dollars), société basée à Paris qui vend des produits électroniques grand public remis à neuf (2), ou Twig, qui fournit des liquidités instantanées aux particuliers souhaitant vendre des articles de mode ou des produits électroniques d'occasion (35 millions de dollars) (3).

L'économie circulaire repose sur des bases solides. Pourtant, d'aucuns affirment que des implications sociales plus larges ont été sous-évaluées ou ignorées, et que l'accent a été mis jusqu'à présent sur les objectifs environnementaux. Ce manque d'attention aux facteurs sociaux est problématique, car les initiatives d'économie circulaire ont souvent des impacts sociaux, tandis que les facteurs sociaux peuvent également affecter le succès de l'économie circulaire. Cette relation à double sens nous semble pourtant essentielle.

 

La dimension sociale oubliée ?

La dimension sociale de l'économie circulaire est importante non seulement pour la société et les communautés, mais aussi pour le succès de l'économie circulaire.

Les initiatives d'économie circulaire peuvent avoir des impacts sociaux positifs et négatifs. Pensez, par exemple, à des espaces collectifs plus propres grâce à une plus grande quantité de produits recyclés, ou à une meilleure qualité de l'air grâce à la réduction de la pollution industrielle. D'un autre côté, ces initiatives peuvent augmenter les prix, limitant l'accès de publics à faibles revenus, ou perturber les industries traditionnelles, entraînant des pertes d'emplois dans des secteurs moins compatibles avec les principes circulaires.

Les facteurs sociaux, tels que les valeurs, les croyances et les comportements, peuvent, à l'inverse, influencer le succès des initiatives d'économie circulaire. Pensez aux changements de comportement nécessaires pour augmenter les taux de recyclage ou pour apporter un produit à un centre de réparation, plutôt que de simplement le jeter. Les comportements sont également essentiels pour éviter les effets de rebond, où toute économie environnementale réalisée est perdue lorsque les individus augmentent leur consommation en réponse aux économies ou aux gains d'énergie perçus. Il peut être difficile d'influencer les comportements des consommateurs. Les gens résistent souvent à l'idée d'adopter de nouvelles habitudes, ce qui risque de ralentir la transition vers l'économie circulaire ou d'émousser les effets positifs escomptés.

Si l'on ne tient pas compte de l'interaction entre les initiatives d'économie circulaire et les dimensions sociales, il peut y avoir des implications sociales involontaires et négatives, et l'impact et le succès des initiatives d'économie circulaire elles-mêmes peuvent en pâtir.

 

Comment faire face à cette situation ?

L'intégration des dimensions sociales dans les initiatives d'économie circulaire est cruciale pour créer un modèle durable et inclusif. Avant tout, les parties prenantes de la société, y compris les communautés, doivent être impliquées et incluses. Des recherches récentes sur l'intégration des acteurs communautaires dans une initiative d'économie circulaire aux Pays-Bas ont démontré à la fois le potentiel et les défis de cette approche (4).

 

Le premier défi consiste à garantir l'équité. Les acteurs de la société ne sont pas des experts de l'économie circulaire et ont souvent moins de pouvoir que, par exemple, une entreprise de construction ou le gouvernement local. L'équité peut être gérée non seulement en incluant des acteurs particuliers, mais aussi en gérant soigneusement les ordres du jour des réunions et en limitant l'utilisation du jargon et de la terminologie technique.

Le deuxième défi concerne la (meilleure) façon de gérer les désaccords. Avec la prise en compe de différents points de vue, il est inévitable qu'une variété d'idées et d'opinions parfois contradictoires émergent ; même la question de savoir quelles parties prenantes inclure dans une initiative de circularité crée souvent des frictions. Le désaccord peut toutefois avoir des effets positifs, car l'étude a montré qu'il contribuait à stimuler l'idéation et l'innovation grâce au désir de trouver un accord. Lorsque les efforts pour parvenir à un accord échouent, il est possible de faire avancer les initiatives en "acceptant de ne pas être d'accord" ou en "étant en désaccord de manière agréable".

Enfin, il y a la question de l'incertitude, concernant les résultats potentiels ou les responsabilités de chacun. Cela peut avoir un impact sur la confiance et conduire les parties prenantes à refuser de participer. Inclure des phases d'exploration dans les initiatives peut accroître la proximité entre les parties prenantes, rendre plus tangible le lien entre l'économie circulaire et les acteurs sociétaux, et renforcer l'enthousiasme et la confiance.

 

Plus gloablement, les efforts d'éducation et de sensibilisation doivent être poursuivis par les ministères, les autorités locales, les ONG, voire les cabinets de conseil lorsque l'argument commercial est le plus fort. Ils devraient cibler à la fois les parties prenantes de la société et les acteurs responsables de la conception et de la mise en œuvre des initiatives d'économie circulaire. Il s'agit notamment de groupes tels que les gestionnaires, les ingénieurs, les décideurs politiques, etc. Des programmes de formation existent déjà, comme Circular Friesland (5) aux Pays-Bas ou BioEco (6) ici en France.

Les avantages plus larges des initiatives d'économie circulaire devraient être soulignés, tels que le potentiel de création d'emplois. La transition vers une économie circulaire créera de nouveaux emplois diversifiés. Des travailleurs seront nécessaires pour la gestion des ressources et le recyclage des déchets, ainsi que pour la refabrication et la remise à neuf des produits usagés. De nouveaux concepteurs et ingénieurs spécialisés dans la création de produits facilement recyclables, réparables et réutilisables feront également partie des nouveaux emplois qui émergeront.

 

L'économie circulaire, plus qu'un simple tour de passe-passe

L'avenir de l'économie circulaire est prometteur. Toute approche réussie doit répondre aux besoins de la société et des communautés qu'elle sert. Cela doit aller au-delà de la gestion responsable des ressources naturelles et du monde naturel, pour inclure des facteurs sociaux et permettre aux communautés et aux individus de jouer un rôle plus important que celui de simples consommateurs. En soulignant l'importance de l'inclusion, des pratiques équitables et de l'engagement communautaire, l'économie circulaire a le potentiel de remodeler les valeurs sociétales, en stimulant le potentiel environnemental des initiatives de circularité et des efforts plus larges en matière de durabilité.

 

Références

(1) Kirchherr, J., Bauwens, T., & Ramos, T. (2022). Circular disruption: Concepts, enablers and ways ahead. Business Strategy and the Environment. https://doi.org/10.1002/bse.3096

(2) Jan. 2022, Big Cash For Old Tech: Back Market Raises $510 Million For Reselling Old Electronics, Forbes

(3) Jan. 2022, Twig takes $35M to turn stuff you own into a way to pay, TechCrunch

(4) Eikelenboom, M., Long, T.B. Breaking the Cycle of Marginalization: How to Involve Local Communities in Multi-stakeholder Initiatives? Journal of Business Ethics 186, 31–62 (2023). https://doi.org/10.1007/s10551-022-05252-5

(5) Vereniging Circulair Friesland (NL) - https://circulairfriesland.frl/en/

(6) BioEco Toulouse (FR) - https://bioeco.univ-toulouse.fr/about/

 

Photo de Chevanon Photography (pexels.com)