L'énigme des réseaux sociaux lors des crises de réputation des entreprises
Dans cet article, Xing Huan, professeur associé à l'EDHEC, présente ses derniers travaux sur l'utilisation par les entreprises des réseaux sociaux - en particulier d'X - comme outil de communication stratégique lors d'un scandale financier majeur (ici le scandale du LIBOR), tout en explorant des pistes de généralisation de ses analyses.
L'essor des réseaux sociaux dans la circulation d'informations par les entreprises
Les réseaux sociaux sont sans doute l'évolution la plus marquante des technologies de l'information au cours de la dernière décennie. Leur utilisation a transformé le paysage de la circulation d'informations et des méthodes utilisées par les entreprises pour s'adresser aux différentes parties prenantes.
Ils représentent en effet une nouvelle (plate)forme de communication, démultipliant les canaux disponibles pour la diffusion d'informations par les entreprises. Toutefois, leurs caractéristiques propres offrent aux entreprises et à leurs dirigeants des possibilités de communication et des risques fondamentalement différents de ceux des canaux traditionnels. Par rapport à ces derniers, les réseaux sociaux permettent d'atteindre rapidement et directement un vaste réseau de parties prenantes. Des plateformes comme X (anciennement Twitter) ont révolutionné cette modalité, en favorisant les interactions multidirectionnelles et en offrant aux entreprises un autre moyen de communiquer avec les parties prenantes, modifiant ainsi la dynamique et la nature de la circulation et de la publication d'informations. (1) (2)
Les investisseurs intègrent des informations provenant de sources multiples lorsqu'ils prennent des décisions d'investissement. L'essor et la prolifération des réseaux sociaux ont permis aux acteurs des marchés financiers, tels que les dirigeants d'entreprise et les investisseurs, d'extraire et de faire circuler des informations. Toutefois, l'absence de contrôle réglementaire de la diffusion d'informations par le biais des réseaux sociaux signifie qu'il y a probablement plus de flexibilité dans le choix des informations qui sont mises en avant ou incluses.
En fait, les réseaux sociaux encouragent souvent les interactions informelles qui permettent d'utiliser davantage d'informations subjectives qu'objectives (3). Cet aspect, associé aux caractéristiques uniques des plateformes en ligne - telles que la portée et la vitesse de transmission des informations - suggère que le contenu des réseaux sociaux peut influencer de manière critique les perceptions des parties prenantes externes, ce qui pourrait ensuite se refléter dans le prix des actifs. L'interaction entre les activités en ligne et hors ligne n'est jamais unidirectionnelle. En effet, si les entreprises gèrent les modalités de leur communication sur les réseaux sociaux, ces derniers façonnent réciproquement la position, la réputation et la crédibilité de l'entreprise.
Les réseaux sociaux sont surtout utilisés en cas de nouvelles négatives. Des recherches ont montré que les nouvelles négatives sont beaucoup plus susceptibles d'être discutées, partagées et diffusées sur les réseaux sociaux que les bonnes nouvelles (4). Lorsque des nouvelles négatives apparaissent, ces réseaux peuvent potentiellement détourner l'attention en permettant à différentes informations d'être diffusées par des utilisateurs influents sélectionnés, dont les conversations sont ensuite partagées par leurs nombreux partisans.
Diffusion d'information et atteinte à la réputation
Dans notre récente étude sur la publication et la circulation d'information sur les réseaux sociaux et les atteintes à la réputation (5), nous nous concentrons sur l'utilisation par les entreprises de ces réseaux en tant qu'outil de communication stratégique lors d'un scandale financier majeur à l'échelle du secteur. Nous avons en effet examiné la manière dont X a été déployé par les institutions financières lors du scandale du LIBOR (6).
Ce dernier a constitué un événement négatif pour les entreprises et a eu de graves conséquences pour les banques impliquées, notamment des amendes substantielles, des pertes de valeur marchande et des atteintes à la réputation. Un tel scandale peut avoir des implications directes sur la valeur de marché et la réputation d'une banque, entraînant des dommages significatifs à long terme. Plus précisément, nous avons étudié si les informations diffusées par les banques sur les canaux officiels des réseaux sociaux ont atténué ou exacerbé la réaction négative du marché au scandale, et si les utilisateurs individuels des réseaux sociaux ont joué un rôle - et si oui, lequel.
Comme dans de nombreuses situations de crise, les scandales créent de l'incertitude et augmentent la demande d'informations. Dans ce vide informationnel, il est important que l'entreprise transmette le message qu'elle souhaite faire passer avant les rumeurs, les spéculations infondées ou les sources d'information alternatives qui pourraient dégrader la situation. Si elle ne le fait pas, le public risque de rechercher des informations auprès d'autres sources, ce qui priverait l'entreprise de la possibilité d'influer sur la manière dont les événéments sont "racontés".
En examinant les tweets des banques impliquées dans le scandale du LIBOR, nous identifions deux stratégies de communication adoptées par ces dernières pour tenter de limiter les dommages subis par leur réputation.
La première stratégie consiste à publier des informations liées au scandale, telles que des aveux de responsabilité ou des explications détaillées concernant le rôle des banques dans l'événement, démontrant ainsi leur engagement à gérer la crise afin d'atténuer les croyances négatives des parties prenantes à leur égard.
La seconde stratégie, plus fréquemment observée, consiste pour les banques à publier des informations sans rapport avec le scandale, telles que des nouvelles positives sur l'entreprise ou des contenus liés à des sujets sociétaux, dans l'espoir de détourner l'attention du public du scandale ou au moins de contrebalancer l'impact des nouvelles négatives concomitantes.
Il est intéressant de constater que la deuxième stratégie, au lieu d'atténuer, exacerbe la réaction négative du marché au scandale. Cela suggère que le marché retient efficacement les nouvelles négatives pertinentes et écarte toute tentative de gestion des communications sur les réseaux sociaux des banques touchées par le scandale.
L'énigme des réseaux sociaux
Bien que l'on constate que l'activité initiale des banques sur Twitter a atténué les effets négatifs sur les marchés pendant le scandale, cet effet est de courte durée. En outre, si certaines banques réussissent à partager rapidement des histoires positives et à détourner l'attention, de nombreux autres utilisateurs de médias sociaux peuvent diffuser des faits potentiellement défavorables, voire de fausses informations. L'un des avantages tant vantés des médias sociaux pourrait aussi être leur plus grand défaut : ils permettent à chacun de partager son opinion avec le monde entier. Tout le spectre des informations sur les banques impliquées dans l'événement se répandent largement, ce qui peut aggraver les conséquences pour l'institution.
Cela est particulièrement vrai lorsque les tweets des utilisateurs non "officiels" sont alimentés par un sentiment négatif. Pendant le scandale du LIBOR, les conséquences négatives sur le marché ont été exacerbées par les retweets et les hyperliens vers des informations externes en réponse aux tweets des banques. Sur les plateformes de réseaux sociaux comme X, il est impossible de maintenir un canal de communication unilatéral ; cela va à l'encontre de l'essence même de la plateforme. Les messages officiels sont entremêlés de commentaires, de réfutations, d'affirmations et de contre-affirmations, ce qui augmente la diffusion et la résonance des informations négatives et accusations.
Alors, publier ou ne pas publier sur les réseaux sociaux ?
Si l'augmentation de l'activité d'une banque sur Twitter peut partiellement atténuer les conséquences négatives sur le marché à court terme, il est difficile d'affirmer que cela peut se traduire par des recommandations. Les plateformes de réseaux sociaux, avec leur contenu diversifié généré par les utilisateurs, servent à la fois de sources d'information pour l'entreprise et de forums ouverts où un grand nombre d'utilisateurs partagent publiquement des impressions, des sentiments et des détails. En d'autres termes, partager des nouvelles positives dans le but de contrer la mauvaise publicité se retourne souvent contre les entreprises, donnant plus de matière aux autres utilisateurs pour partager leur vision négative. Et les marchés peuvent alors réagir en conséquence.
Dans un autre article de recherche récent sur les réseaux sociaux et les marchés de capitaux (7), mes coauteurs et moi-même examinons la plateforme de conseil en investissement Seeking Alpha (8). Nous constatons que les investisseurs sur le marché des actions et des options réagissent aux informations diffusées sur cette plateforme. En outre, le sentiment exprimé dans les articles partagés fournit des informations directionnelles pour les rendements du marché à court terme et à long terme, s'ajoutant aux informations déjà révélées par celles relatives aux bénéfices ou aux rendements annoncés. La relation directionnelle entre le sentiment de l'article Seeking Alpha et les mesures du marché des actions et des options suggère que la réponse est motivée par l'information et est opportune. Dans l'ensemble, Seeking Alpha semble fournir des informations supplémentaires et au bon moment au marché des actions et des options, ce qui représente une nouvelle source d'informations sur la valeur de l'entreprise.
Par conséquent, lorsqu'il faut prendre des décisions sur les modalités de publication et de circulation d'informations sur les réseaux sociaux, les entreprises doivent soigneusement peser les avantages potentiels par rapport aux risques. La clé est de comprendre que la diffusion sur les réseaux sociaux peut parfois aller à l'encontre des intentions de l'entreprise, et que son impact sur la perception du marché est notable et rapide. En s'engageant stratégiquement sur ces plateformes, tout en faisant preuve de transparence et en répondant aux préoccupations des investisseurs, il est possible d'atténuer les réactions négatives potentielles et d'exploiter le pouvoir des réseaux sociaux pour influencer positivement les résultats du marché.
Références
(1) Chen, H., De, P., Hu, Y.J., & Hwang, B.H. (2014). Wisdom of crowds: The value of stock options transmitted through social media. The Review of Financial Studies, 27(5), 1367-1403. https://doi.org/10.1093/rfs/hhu001
(2) Fieseler, C., & Flech, M. (2013). The pursuit of empowerment through social media: Structural social capital dynamics in CSR-blogging. Journal of Business Ethics, 118, 759-775. https://doi.org/10.1007/s10551-013-1959-9
(3) Blankespoor, E. (2018). Firm communication and investor response: A framework and discussion integrating social media. Accounting, Organizations & Society, 68, 80-87. https://doi.org/10.1016/j.aos.2018.03.009
(4) Naveed, N., Gottron, T., Kunegis, J., & Alhadi, A.C. (2011). Bad news travel fast: A content-based analysis of interestingness on Twitter. Proceedings of the 3rd International Web Science Conference, 1-7. http://dx.doi.org/10.1145/2527031.2527052
(5) Huan, X., Parbonetti, A., Redigolo, G., & Zhang, Z. (2024). Social media disclosure and reputational damage. Review of Quantitative Finance and Accounting, 62(4): 1355-1396. https://doi.org/10.1007/s11156-023-01239-z
(6) Voir l'article EDHEC Vox “4 questions to Xing Huan about a decade of LIBOR phaseout” (Fév. 2024) pour plus d'informations sur le scandale du LIBOR.
(7) Pei, D.S., Anand, A. & Huan, X. (2024). Seeking Alpha: More sophisticated than meets the eye. Available at: https://dx.doi.org/10.2139/ssrn.4747465
(8) Seeking Alpha a été créé en 2004 en tant que forum permettant à la communauté des investisseurs de publier leurs recommandations d'actions et leurs idées génératrices d'alpha. Il a depuis évolué pour devenir une plateforme multifonctionnelle offrant divers outils aux utilisateurs, notamment la lecture d'articles de conseils en investissement, la visualisation de transcriptions d'appels à bénéfices, le suivi d'actions et d'obligations et la discussion de stratégies d'investissement.