Les compétences développées grâce aux jeux vidéos
Guergana Guintcheva, directrice du programme Business Management, et Geneviève Houriet Segard, directrice adjointe du centre NewGen Talent, traitent dans un article initialement publié sur The Conversation, du développement de capacité grâce aux jeux vidéos.
Aujourd’hui la pratique des jeux vidéo provoque des réactions contrastées et parfois virulentes… entre ceux, peu nombreux encore, qui la considèrent comme un divertissement enrichissant et ceux pour qui jouer n’est qu’une perte de temps, voire une conduite addictive, une expérience antisociale ou même un trouble du comportement.
Il est souvent oublié que les jeux vidéo sont avant tout des jeux. Le jeu est une activité dont la motivation est inhérente, c’est-à-dire qu’il procure un sentiment de récompense et de satisfaction directe : si le joueur réussit ses défis, il/elle ressent des émotions positives expliquées par sa performance et son efficacité. Cette motivation est très puissante comme facteur d’engagement.
La diversité des genres de jeux vidéo offre des expériences variées (compétitives dans des jeux comme Call of Duty ou Fortnite ; ou collaboratives dans Age of Empires, Battlefield, ou Final Fantasy) qui incitent les joueurs à développer des compétences favorisées par les différents contextes du jeu.
La recherche menée par Guergana Guintcheva, professeure de marketing à L’EDHEC et Dominique Mangiatordi, CEO ØPP Studio, en collaboration avec Geneviève Houriet Segard, socioéconomiste, responsable d’études au NewGen Talent Centre, souligne l’importance du jeu sur le développement des compétences.
Plus précisément, elle conduit à deux résultats principaux. Premièrement, elle décrit les différences entre les sexes dans les préférences de genre de jeux vidéo. Deuxièmement, elle démontre que quel que soit le sexe ou la fréquence de jeu (joueur occasionnel, régulier, expert), l’expérience du jeu vidéo développe des compétences autoévaluées similaires.
Tous les profils de joueurs concernés
Afin d’examiner comment les compétences cultivées en jouant à un jeu vidéo peuvent être transposables à l’environnement de travail, 2 510 jeunes étudiants ont été interrogés en juin 2019 en France. Tous les participants étaient âgés de 20 à 23 ans et 46 % étaient des femmes.
Les questions portaient sur les jeux vidéo joués, la fréquence de jeu et leur perception des compétences générées par cette pratique. Les répondants masculins ont cité une plus grande variété de jeux (144 contre 99 pour les répondants féminins). Les jeux de sport (par exemple, FIFA), de stratégie (LoL) et d’action (Assassin’s Creed) ont la faveur des étudiants alors que les étudiantes préfèrent les jeux de simulation (The Sims)et de convivialité (Mario Kart).
Les femmes déclarent jouer moins aux jeux vidéo que les hommes (44 % ne jouent jamais contre 11 % pour les garçons). De même, seulement 6 % des joueuses ont déclaré être des joueuses expertes (contre 31 % pour les joueurs masculins) et 11 % ont déclaré être des joueuses régulières (contre 33 % pour les joueurs masculins).
Intuitivement, il serait possible de s’attendre à une corrélation positive entre le nombre d’heures hebdomadaires de jeu vidéo et des compétences acquises. Pourtant, l’étude ne montre pas de relation statistique significative entre l’expertise des joueurs (joueur occasionnel, régulier ou expert) et le développement des compétences que ce soit pour les femmes ou les hommes.
Un révélateur de la personnalité
Les compétences citées par les répondants ont aussi été classées selon cinq profils de personnalité adaptés du modèle de motivation et de personnalité du chercheur américain John Mowen. Chaque profil est déterminé par sa propension principale à l’auto-efficacité (self efficacy), l’action (task), la compétition (compete), l’apprentissage (learn) et la sociabilité (social). L’objectif est d’analyser plus en détail les compétences associées à ces types de personnalité.
Pour la dimension « apprentissage » (learn) de la personnalité, les joueuses et les joueurs citent des compétences identiques : découverte, curiosité, réflexion et créativité. Pour la dimension « sociabilité » (social) de la personnalité, les filles citent les relations interpersonnelles comme une compétence supplémentaire par rapport à celles déjà citées par les garçons : travail en équipe, écoute, coopération et aide mutuelle.
Par ailleurs, nos résultats battent en brèche les stéréotypes de genre souvent associés aux compétences. Ainsi, les filles déclarent que la pratique des jeux vidéo leur permet de développer des capacités de compétition, combativité, les mêmes que celles citées par les garçons, auxquelles elles ajoutent le goût du challenge (compete).
Pour la dimension « action » (task), les joueurs masculins se définissent comme aussi assidus et « sérieux » que les joueuses féminines en citant l’augmentation par le jeu de leur persévérance, organisation et rigueur, voir plus avec l’acquisition de qualités telles que la ténacité, l’analyse et l’agilité.
Enfin, en termes « d’auto-efficacité » (self efficacy), les garçons citent la gestion du stress et l’anticipation comme des caractéristiques cultivées en plus de la concentration, l’attention et la patience aussi citées par les filles.
« Comment jouez-vous ? », une question RH
Ces résultats ont plusieurs implications pour les pratiques des managers et des directions de ressources humaines. L’environnement de jeu est aussi organisé par des règles et des sanctions clairement mesurées et traduites par des niveaux et des systèmes de points qui reproduisent un « ordre institutionnel ».
Les joueurs organisent leur vie de jeu en adhérant à des communautés ayant une hiérarchie claire et des tâches à accomplir, ce qui est une réalité commune au monde de l’entreprise. En 2009, les chercheurs Sara Grimes et Andrew Feenberg ont mis en parallèle la structure des jeux vidéo et l’organisation de la vie professionnelle. Ils ont constaté que les deux sont régis selon des valeurs, des priorités, des compétences et des normes identiques.
Tout d’abord, les entreprises pourraient utiliser des expériences ludiques comme les jeux vidéo pour mieux comprendre le potentiel de ses collaborateurs et développer leurs compétences tout au long de leur carrière. Les jeux offrent en effet un environnement favorable à l’apprentissage car ils permettent d’acquérir des compétences dès les niveaux débutants et leurs scénarios sont conçus pour nourrir l’envie de se surpasser et d’atteindre le degré d’expertise le plus avancé.
L’engagement des joueurs dans le développement des compétences se fait sans effort car ils sont intrinsèquement motivés. Par conséquent, le jeu représente un contexte d’apprentissage parfois plus efficace qu’un environnement académique jugé souvent contraignant.
Par ailleurs, les individus peuvent être regroupés dans différentes catégories en fonction de leur personnalité et motivation à jouer. En conséquence, les entreprises pourraient activer pour chacun une gestion personnalisée des ressources humaines adaptée au profil et ainsi susciter plus d’engagement et améliorer l’expérience collaborateur.
Par exemple, des employés avec une tendance naturelle à la compétition pourraient se sentir récompensés en faisant face à un défi, tandis que les « socialisateurs » pourraient être plus performants s’ils se voient confier des tâches coopératives. À l’heure où les entreprises doivent se réinventer, elles pourront donc désormais capitaliser sur ces joueurs capables de les transformer.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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