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Quels problèmes posent les scénarios climatiques, et comment les résoudre ?

Riccardo Rebonato , Professor

Dans cet article, initialement publié dans The Conversation France (et Europe), Riccardo Rebonato, Professeur à l'EDHEC et Directeur scientifique de l'EDHEC-Risk Climate Impact Institute, appelle à une révision de l'approche actuelle des modèles de projection des émissions, en proposant des idées et des actions qui vont dans le sens du probabilisme.

Temps de lecture :
18 Juil 2024
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Face aux incertitudes qui entourent le changement climatique, les décideurs politiques comme les investisseurs ont besoin de savoir ce qui peut arriver et avec quel niveau de probabilité. Malheureusement, les scénarios actuels ne répondent qu’à la première question, et encore, partiellement. Les recherches menées par l’Edhec Risk Climate Impact Institute tentent d’apporter des réponses approximatives mais « exploitables » à la deuxième question.

 

Les « stress-tests climatiques » remontent aux années 1990 : des équipes de scientifiques ont alors commencé à collaborer pour la création d’un cadre qui devait établir les normes analytiques pour les décennies à venir. Pour ce faire, ils ont esquissé quelques récits sur la manière dont le monde pourrait évoluer, socialement et économiquement. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui les « Trajectoires socio-économiques partagées » (SSP pour « shared socioeconomic pathways » en anglais). Ces récits ont été associés à une série de projections d’émissions de carbone, appelées « trajectoires représentatives de concentration » (RCP pour « representative concentration pathway » en anglais).

 

Chaque récit a été soumis à l’intégralité des projections d’émissions à l’aide de modèles d’évaluation affinés au cas par cas pour refléter le plus fidèlement possible chacun des récits. À ce stade, le seul degré de liberté laissé pour faire correspondre le récit à la projection d’émissions était le coût social du carbone – c’est-à-dire, dans les grandes lignes, la taxe qui devrait être prélevée sur les « consommateurs » d’émissions de carbone et dont les recettes devraient être affectées à la réduction des émissions.

 

L’approche SSP-RCP, comme on l’appelle maintenant, a été approuvée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et est devenue, à juste titre, un cadre standard. Néanmoins, malgré ses points forts, l’approche SSP-RCP n’est pas parfaite et ne répond pas aux besoins de tous les utilisateurs de scénarios. Deux décennies après son introduction, l’approche SSP-RCP montre des signes de vieillissement.

 

Un cadre d’analyse qui fait son temps

Selon nous, sa révision devrait s’opérer selon trois axes distincts, chacun abordant l’un des problèmes du cadre de modélisation actuel.

Examinons d’abord les récits. Ils sont présentés dans un langage riche et coloré : on parle de « résurgence du nationalisme » ou de « croissance des inégalités ». Les seuls leviers dont disposent les modèles qui tentent de saisir ces récits restent cependant les taux de croissance démographique et économique, l’intensité carbone (émissions par unité d’énergie) et l’intensité énergétique (énergie par unité de PIB). Si chacune de ces variables ne peut exister que dans trois états possibles – disons, élevé, moyen et faible – cela nous donne 3 x 3 x 3 x 3 = 81 récits. Les six scénarios choisis par le GIEC ne sont donc qu’un petit sous-ensemble de tous les mondes possibles.

 

Les six récits du GIEC pourraient-ils malgré tout être les plus probables ? Nous ne pouvons pas le dire, car aucune probabilité n’a été associée aux scénarios – et c’est là, selon nous, la deuxième grande lacune des scénarios actuels. En l’absence d’informations probabilistes, nous ne pouvons pas savoir quels sont les scénarios dont nous devrions vraiment nous préoccuper et quels sont ceux qui peuvent être mis de côté en toute sécurité.

 

Le troisième problème est le choix de modélisation dans la configuration SSP-RCP, où chaque récit est associé à la trajectoire la plus probable pour chacune des variables clés. Ce choix est raisonnable, mais il ne rend pas compte de l’énorme incertitude qui entoure les principales estimations. Cela crée un sentiment erroné de prévisibilité. On donne parfois des projections exprimées en termes de précision au dixième de degré, mais connaître le degré d’incertitude d’un résultat peut être aussi important que de connaître la valeur attendue de ce résultat.

 

Faire mieux

Comment remédier à ces lacunes ? Tout d’abord, nous pouvons simplifier le problème en reconnaissant que l’intensité carbone, l’intensité énergétique et le taux de croissance démographique sont tous liés à la richesse d’une région : les pays riches ont tendance à avoir une fécondité plus faible, à utiliser plus de services que de biens (ce qui réduit leur empreinte carbone) et à utiliser moins d’émissions pour produire une unité d’énergie.

 

Ainsi, si nous pouvons modéliser la croissance économique (et son incertitude !), nous pouvons estimer le PIB par personne d’une part, et tous les autres principaux facteurs du changement climatique d’autre part. Cela est utile, car les économistes ont consacré des décennies de travail à la modélisation de la croissance économique – travail qui peut être adapté aux besoins de la modélisation des scénarios climatiques. Cela nous permet d’estimer avec une certaine confiance comment le PIB par personne évolue dans le temps, après avoir pris en compte les dommages causés sur le climat et ses conséquences. Nous pouvons en déduire comment la croissance démographique et la décarbonisation de l’économie sont susceptibles d’évoluer. Difficile, la tâche s’avère néanmoins bien définie.

 

Les graphiques suivants donnent une idée des résultats de cette approche. Pour les créer, nous avons supposé que chacune des quatre variables clés (croissance économique, intensité carbone, intensité énergétique et croissance démographique, dans l’ordre) peut exister dans un état « faible », « moyen » ou « élevé ».

Il apparaît que les températures les plus élevées se produisent dans les États à forte croissance économique, ce qui suggère que – du moins pour le calendrier de réduction examiné et le modèle utilisé – l’effet du PIB domine : nous ne pouvons pas nous sortir de notre situation climatique par la seule croissance.

 

Bien entendu, ce que nous avons présenté ici ne doit pas être considéré comme une conclusion, mais comme un projet en cours. Malgré ses limites, nous pensons que notre approche est un premier pas utile dans la direction probabiliste vers laquelle les scénarios doivent évoluer.

The Conversation

 

Cet article de Riccardo Rebonato, Professeur à l'EDHEC et Directeur scientifique de l'EDHEC-Risk Climate Impact institute, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

Photo de USGS sur Unsplash

The Conversation

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