3 questions à Madlen Sobkowiak sur la comptabilité durable
La comptabilité évolue à grande vitesse, poussée par les questions environnementales et sociales urgentes auxquelles sont confrontées toutes les organisations dans le monde. Madlen Sobkowiak, professeure associée à l'EDHEC, est à l'avant-garde de ces transformations grâce à ses recherches et à son enseignement sur la comptabilité durable - ou extra-financière.
Pourriez-vous définir ce qu'est la comptabilité durable (ou extra-financière) ?
Dans le passé, la comptabilité concernait principalement, voire exclusivement, les indicateurs et les performances économiques. Toutefois, depuis des années (voire des décennies), la situation évolue, à un rythme soutenu ces derniers temps. Une organisation doit désormais intégrer les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) à la fois dans ses activités et dans ses reportings.
Cette évolution est principalement motivée par la réglementation, notamment dans l'Union européenne, comme en témoignent la directive sur le reporting non financier (NFRD) en 2017 et la directive sur le reporting durable des entreprises (CSRD) en 2024, et dans les années à venir, le champ d'application sera plus large. La motivation est simple : obliger les entreprises à "écrire dans leurs livres" de plus en plus de critères liés à la nature (1), au bien-être humain et à la gouvernance.
Quel est l'objet de votre dernier article intitulé “Rethinking Planetary Boundaries: Accounting for Ecological Limits” (2) ?
Nous avons essayé de repousser les limites actuelles de la comptabilité environnementale. En réunissant des coauteurs issus de milieux différents, nous voulons nous attaquer aux pièges des approches isolées. Comment intégrer la nature dans la comptabilité de manière holistique ? Pour nous, le cadre des limites planétaires, en englobant divers sujets à différentes échelles, est un premier pas dans cette direction. Et nous pensons qu'il est essentiel de traduire cette vision en indicateurs et en outils pour relier la réalité et les comportements des organisations aux résultats sur la nature. Nous avions l'habitude de nous concentrer sur l'équilibre du budget économique et nous soutenons maintenant qu'il est temps de se concentrer sur un équilibre qui englobe la planète et ses communautés (3).
Comment proposez-vous de combiner les différentes échelles en jeu ?
En effet, chaque organisation a de nombreux paramètres et échelles dans sa relation avec toutes ses parties prenantes. C'est précisément parce qu'il s'agit de mesurer et de rendre compte que la comptabilité est un mécanisme de transmission ou de "traduction" qui fonctionne dans les deux sens. L'objectif n'est pas de cocher des cases, mais de lancer des discussions et des innovations, en interne et en externe, afin d'améliorer réellement les résultats en matière d'environnement.
La question des données est bien sûr essentielle et nous avons d'énormes efforts à faire, tant en termes de recherche que de cadres et de solutions concrètes, pour définir les bonnes voies et résoudre les paradoxes que nous rencontrons. "L'écologisation" de la comptabilité est un objectif passionnant et j'ai hâte de franchir les prochaines étapes avec mes collègues et mes étudiants !
Références
(1) The making of imperfect indicators for biodiversity: A case study of UK biodiversity performance measurement (2022). Madlen Sobkowiak. Business Strategy and the Environment, Volume 32, Issue 1, Pages 336-352. https://doi.org/10.1002/bse.3133
(2) Rethinking Planetary Boundaries: Accounting for Ecological Limits (2023). Madlen Sobkowiak, Juliette Senn & Hendrik Vollmer. Social and Environmental Accountability Journal
Volume 43, 2023 - Issue 3. Pages 259-272. https://doi.org/10.1080/0969160X.2023.2283019
(3) Transnational Corporations, Biosphere Stewardship, and Sustainable Futures (2022). H. Österblom, J. Bebbington, R. Blasiak, M. Sobkowiak, and C. Folke. Annual Review of Environment and Resources. https://doi.org/10.1146/annurev-environ-120120-052845