A la rencontre d'Anne C. Witt, une professeure de droit qui suit sa propre musique
Pianiste dévouée, experte international en droit de la concurrence (antitrust), exploratrice passionnée de l'économie numérique, chercheuse et brillante professeure de droit à l'EDHEC, y a-t-il quelque chose qu'Anne Witt ne sache pas faire ? Prédire l'avenir peut-être ? Mais elle n'en a guère besoin, puisqu'elle est exactement au bon endroit au bon moment, et que sa passion reste intacte.
"Pour moi, c'était soit les maths, soit la physique, soit le piano", dit-elle à propos de ses aspirations professionnelles lorsqu'elle était adolescente à Genève. Mais aucune équation, expérience ou concerto n'a réussi à s'imposer durablement : ce sont les délicates subtilités du droit qui vont attirer la jeune Anne Witt, qui obtient son premier diplôme à l'Albrecht-Ludwigs-Universität de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne).
"Je suppose que le fait d'avoir grandi avec un père diplomate et d'avoir changé de pays tous les quatre ans m'a donné une certaine appréciation du droit en tant qu'outil de consolidation de la paix". La véritable révélation se produit en troisième année de droit, lors d'un cours sur le droit européen : "C'est devenu une évidence ! De mon point de vue, il ne s'agissait pas de bureaucratie et de réglementation. Il s'agissait de coopération et d'instauration de la confiance entre les nations, et cela a vraiment fait écho en moi".
Bien que difficile à appréhender de l'extérieur, le droit communautaire n'aura bientôt plus de secrets pour Anne. Toujours désireuse d'élargir ses horizons, elle saisit l'opportunité d'une bourse Fulbright pour poursuivre un Master of Laws (LLM) aux États-Unis, à l'université de Virginie de Charlottesville. Là, elle découvre une toute autre façon de penser : alors que l'approche européenne de la législation antitrust est fondée sur l'équité et la préservation de la concurrence, l'approche américaine est axée sur l'économie et les prix bas. Elle est séduite. De retour sur le vieux continent, elle se fraye un chemin dans les institutions européennes et entame un doctorat qui trouvera une brillante conclusion avec la publication de sa thèse "The More Economic Approach to EU Antitrust Law" (1) en 2009.
"J'avais l'intention de retourner dans le privé, mais on m'a proposé d'enseigner à l'université du Kent (Angleterre). Le fait d'avoir un pied dans la recherche et un pied dans l'enseignement m'a attiré. J'ai rapidement trouvé, je crois, ma philosophie : la clarté. Mon objectif est de rendre clairs et simples des concepts juridiques et économiques complexes". Elle postule ensuite pour son premier poste permanent à la Leicester Law School, où elle passe cinq ans... "et puis est arrivé le Brexit", se souvient-elle, "presque du jour au lendemain, il n'y avait plus besoin de droit de l'UE dans mon université. On m'a proposé de choisir entre enseigner le droit des contrats anglais ou le droit constitutionnel anglais. Mais est-ce que j'allais vraiment tourner le dos à vingt ans d'expertise en droit antitrust de l'UE !" C'est alors que l'EDHEC a eu de la chance...
"Pour un pur produit des facultés de droit, une école de management est un choc... de liberté", dit-elle de ses trois premières années sur le campus de Lille. "Ici, j'ai beaucoup plus de liberté pour enseigner ce qui m'intéresse. Mes cours étaient un peu en marge des corpus de droit. Ici, je suis au cœur du sujet. Les affaires, les marchés et la concurrence sont omniprésents".
Depuis 2020, elle enseigne le droit de la concurrence en mettant l'accent sur l'économie numérique à un public très engagé d'étudiants en BBA, LLM et MSc. "C'est un public très différent de celui auquel j'étais habituée", reconnaît-elle, "mais ce qui manque aux étudiants en management en termes d'aisance naturelle avec les concepts juridiques, ils le compensent largement par une compréhension des marchés et des stratégies d'entreprise. Les conversations sont différentes, plus pratiques, moins théoriques. C'est aussi moins statique, il y a une volonté de décrypter et de trouver des solutions. Mais je n'arrive pas à leur faire lire le moindre ouvrage un peu conséquent !", s'amuse-t-elle.
Son enseignement est fortement influencé par ses recherches : son exploration incessante de l'économie numérique l'a amenée à étudier en détail les tentatives européennes de régulation des grandes entreprises technologiques, comme l'illustrent sa dernière publication pour la Common Market Law Review "The Digital Markets Act - Regulating the Wild West" (2), et le bien nommé "Taming Tech Giants'' publié dans l'Antitrust Bulletin (3). "C'est une période très excitante pour étudier le droit antitrust. Par le passé, il s'agissait davantage d'un sujet de niche. Mais avec l'extraordinaire concentration du marché de l'économie numérique et l'essor de l'IA, ces sujets ont attiré l'attention d'un public beaucoup plus large. Je peux maintenant entrer dans les détails de la récente fusion Microsoft/Activision sans qu'il y ait le moindre bâillement en vue", explique-t-elle.
Mais dans un domaine qui évolue rapidement, Anne Witt suit son propre rythme. Non seulement elle enseigne et fait de la recherche, mais elle forme également des juges nationaux, des régulateurs et des conseillers juridiques par l'intermédiaire de réseaux de formation judiciaire. "C'est ma façon d'avoir un impact sur les politiques publiques", dit-elle modestement. Mais l'impartialité reste la pierre angulaire de son travail : "Je suis une experte en droit, je participe à la création du droit, je ne fais pas de lobbying", affirme-t-elle. Oh, et avons-nous mentionné qu'elle intervient aussi régulièrement dans la presse, récemment dans le Washington Post, le Guardian ou Bloomberg (4), qui sollicitent son avis d'expert sur les développements actuels en matière de droit de la concurrence ? Elle est également investie dans l'Augmented Law Institute de l'EDHEC : "J'aime l'approche interdisciplinaire qui permet d'explorer tout ce qui est lié à l'économie numérique et à l'évolution du cadre juridique. C'est très rafraîchissant de mélanger les points de vue".
Enseigner, rechercher, former... Dynamisée par sa passion, Anne Witt peut et veut tout faire : "Je n'ai pas abandonné le piano non plus", confie-t-elle, "j'ai même un projet secret : un ensemble de musique de chambre EDHEC". Voilà une mélodie qui nous rassemble !
Dates clés
Depuis 2020: Professeur à l'EDHEC, chercheur à l'EDHEC Augmented Law Institute
2019: Emile Noël Fellow, New York University School of Law
2016: Visiting Fellow, European University Institute, Florence
2012-2020: Associate Professor, Leicester Law School, University of Leicester
2009-2012: Associate Lecturer, Kent Law School, University of Kent
2009: PhD, Kent Law School, University of Kent, United Kingdom
2002-2003: Research Assistant, European Parliament
2002: Zweites juristisches Staatsexamen, Düsseldorf (examen allemand du barreau)
1998: LLM, University of Virginia School of Law, Charlottesville, Virginia, USA (Fulbright Grant)
1996: Erstes juristisches Staatsexamen (German law degree), Albrecht-Ludwigs-Universität, Freiburg im Breisgau, Germany
1994: Certificat d’études terminales (piano), Conservatoire de musique de Genève, Switzerland
Pour en savoir plus sur Anne C. Witt
- Visiter sa page personnelle sur edhec.edu
- Accéder à son profil Linkedin
(1) The More Economic Approach to EU Antitrust Law, Bloomsbury publishing, April 2019
(2) The Digital Markets Act: Regulating the Wild West, Common Market Law Review, Volume 60, June 2023, Pages 625 - 666
(3) Taming Tech Giants, The Antitrust Bulletin, Volume 67, June 2022, Pages 187 - 189
(4) Nov. 2022 "Meta Gives Regulators a New Reason to Bite" (Washington Post) - Fév. 2023 "Microsoft’s Activision Blizzard acquisition will harm UK gamers, says watchdog" (The Guardian) - Juil. 2023 "Meta’s European Party Is Hanging by a Thread" (Bloomberg)