À la rencontre de Guergana Guintcheva, une professeure héroïne de sa propre histoire
Lorsqu’elle rejoint l’EDHEC Business School en 2002, Guergana Guintcheva n’entame pas seulement ce qui sera une brillante carrière de professeure et de consultante en marketing. Elle ouvre surtout le nouveau chapitre d’une vie enfin sans compromis, embrassant sa passion pour la culture, libre d’explorer et de transmettre.
Son histoire rejoint souvent l’Histoire : née en Bulgarie communiste, elle grandit dans une société sans marques, mais pas sans rêves ! De son côté du rideau de fer, elle nourrit une fascination pour les Arts, le Français, et la culture française. Quelques films non doublés passent en boucle sur la télévision nationale, notamment ceux de Louis de Funès, l’occasion de les suivre religieusement et de tenter de s’approprier la langue. Et les quelques exemplaires de Pif Gadget disponibles chez de rares marchands de journaux passent de main en main dans les cours de récré. À 14 ans, elle tente le concours d’entrée au lycée spécialisé en langues étrangères, dans le dos de ses parents. Ces derniers n’y trouveront cependant rien à redire par la suite : Guergana finit systématiquement première de sa classe, l’amour du Français lui donne des ailes.
Ses études secondaires bouclées avec brio, elle décide naturellement de venir en France, pour se confronter à la vraie vie, loin de La Grande Vadrouille et du Gendarme à St Tropez. Elle rêve d’en vivre la culture et de rentrer aux Beaux-Arts, mais, à l’époque, la Bulgarie n’est pas encore membre de l’Union Européenne, et ses ressortissants ne sont donc pas éligibles aux bourses. Qu’à cela ne tienne, le pragmatisme l’emporte et elle choisit de s’engager dans un parcours marketing/gestion pour avoir de meilleures chances d’assurer son existence en France.
Pour celle qui a grandi dans un certain éloge de la sobriété, le déluge commercial et publicitaire qu’elle découvre dès son arrivée est d’abord un choc, puis un questionnement et devient rapidement un objet d’étude. Sa force réside justement dans son regard : l’univers de la société de consommation est passé à la loupe de son esprit critique et elle développe très vite une approche du marketing basée sur la transparence et l’aide au consommateur, plutôt que la manipulation. C’est cette vision très personnelle qu’elle transmet aujourd’hui à ses étudiants : « pour moi le marketing est un outil pour faire évoluer avec éthique les comportements de consommation », explique-t-elle, « c’est une matière noble lorsqu’elle respecte le libre arbitre du consommateur, une aide à la décision qui cherche à éclairer plutôt qu’à convaincre par tout moyen. »
Son sujet de thèse, dédié à l’univers de la consommation alimentaire, sera encore un choix pragmatique, dicté par la disponibilité des bourses de recherche, mais ce sera le dernier. Une fois son doctorat en poche (1), c’est la fin des compromis : désormais, tout sera culture. Elle n’a jamais perdu du vue l’émotion que lui ont toujours provoqué toutes formes d’Art. Dès 2002, elle choisit donc d’explorer ces dimensions en travaillant sur l’expression des émotions dans l’expérience culturelle. Elle travaille avec des institutions locales, notamment sur le développement de la C’Art, une offre culturelle en réseau sur la région lilloise, et étudie en profondeur l’expérience muséale (2). Avec Philippe Aurier, son directeur de thèse, elle explore les émotions primaires dans le cinéma, puis décortique les émotions complexes, comme la nostalgie, la mélancolie ou le romantisme (3).
Elle se penche aussi sur une passion de longue date : les jeux vidéo. Sa première publication (4) sur le sujet fait aussi office de « coming-out » puisqu’elle la fait paraitre avec son pseudonyme de joueuse, celui qu’elle utilise dans la vraie vie pour jouer à Pokémon, Zelda, Assassin’s Creed, The Last of Us, mais aussi des jeux free-to-play comme Clash Royale, ou de l’online gaming avec League of Legends. De l’étude des business model des jeux vidéo, elle passe plus récemment à celle de l’utilisation de l’émotion dans les cinématiques (5), aux stéréotypes de genre (6), ou aux compétences développées grâce au gaming (7). Elle s’intéresse également de très près à l’impact environnemental des grandes expositions (8), ou à la représentation de la neurodiversité dans les produits culturels.
Mais Guergana est aussi une formidable éducatrice qui transmet sa passion depuis plus de vingt ans aux promotions de l’EDHEC : « ce qui est important pour moi, c’est de créer du lien », explique-t-elle, « un lien entre les générations, entre les étudiants et l’école, entre les étudiants et les professeurs. Notre temps ensemble est court mais a des impacts profonds sur le temps long, c’est donc crucial de savoir quelles valeurs on veut transmettre à travers ce lien. Mon bureau est tapissé de photos de promos ! Tous ces liens me nourrissent, m’enrichissent et continuent à me faire grandir. »
Dates clés
1996 : Master en économie et management, Université de Montpellier
1999 – 2001 : Assistant Professor, Université de Montpellier
2001 – 2002 : Assistant Professor, Université de Toulouse
2003 : Thèse « L’univers de consommation. Conceptualisation et impact sur la substituabilité́ et la complémentarité́ des produits. Une application à la consommation alimentaire », Université de Montpellier
Depuis 2002 : Professeure de Marketing, EDHEC Business School
Pour en savoir plus sur Guergana Guintcheva
- Voir sa page sur edhec.edu
- Accéder à son profil Linkedin
(1) « L’univers de consommation. Conceptualisation et impact sur la substituabilité et la complémentarité des produits » (2010). Une application à la consommation alimentaire. Editions Universitaires Européennes, Rubrique Savoirs, ISBN : 9786131514401, pp. 252. https://www.theses.fr/2003MON20158
(2) Guintcheva G. & J. Passebois (2012), Lille Metropolitan Art Programme: an example of museum networking in the north of France, International Journal of Arts Management, vol. 15, n°1, pp. 54-64. https://www.researchgate.net/publication/236941481_Lille_Metropolitan_Art_Programme_an_example_of_museum_networking_in_the_north_of_France
(3) Aurier, Ph. & G. Guintcheva (2015), The Dynamics of Emotions in Movie Consumption: A Spectator-Centered Approach, International Journal of Arts Management, Special issue: Worldwide Film Industry: Issues and Challenges, vol. 17, n° 2, pp. 5-18. https://hal.science/hal-02026013
(4) Guintcheva G.-Sapino (2017), L’impact du système de monétisation sur l’expérience de jeu des gamers. Le cas des jeux Free-to-Play, Revue Française de Gestion, vol. 43, n°262, pp. 37-50. https://www.researchgate.net/publication/316052817_L'impact_du_systeme_de_monetisation_sur_l'experience_de_jeu_des_gamers_Le_cas_des_jeux_Free-To-Play
(5) Fandiño S. & G. Guintcheva (2019), Ludology vs Narratology: Effects of Narratives on Gamer’s Experience, AIMAC (Association internationale de management des arts et de la culture), July, Venice.
(6) Guintcheva G., Jemel-Fornetty H., Beloslava Daudé I. & Lacombe L. (2022), Napoléon vs Marie-Antoinette : les stéréotypes de genre dans la narration des jeux vidéo, The Conversation - EDHEC Vox. https://theconversation.com/napoleon-vs-marie-antoinette-les-stereotypes-de-genre-dans-la-narration-des-jeux-video-194312
(7) Guintcheva G. & Houriet Segard G. (2020), Concentration, patience, stratégie… ces compétences que les jeux vidéos permettent de développer, The Conversation - EDHEC Vox. https://theconversation.com/concentration-patience-strategie-ces-competences-que-les-jeux-videos-permettent-de-developper-130808
(8) Guintcheva G. (2023), Expositions « blockbusters » : comment limiter leur impact environnemental ?, The Conversation - EDHEC Vox. https://theconversation.com/expositions-blockbusters-comment-limiter-leur-impact-environnemental-202161