À la rencontre de Joëlle Vanhamme, une professeure qui a fait du marketing un levier de durabilité
Pour celle qui s’est forgée jeune une solide vision des affaires imprégnée d’humanisme au sein de la PME familiale, le marketing ne peut être qu’un moyen à utiliser à bon escient pour le bénéfice de toutes les parties prenantes. Après treize ans à l’EDHEC, Joëlle Vanhamme a fait de sa discipline une force de transformation pour faire évoluer les consciences et les comportements. Elle défend un enseignement qui intègre les questions de durabilité et une recherche appliquée, ancrée dans le réel et la notion d’impact.
La carrière et les centres d’intérêt de Joëlle Vanhamme sont un condensé de l’évolution du marketing sur ces vingt-cinq dernières années. D’un profil pur consumer behavior, Joëlle a embrassé les questions de durabilité pour faire de son approche du marketing un vecteur de changement.
Mais cette évolution n’est due ni totalement au hasard ni à des éléments extérieurs. “J’ai grandi dans une famille d’entrepreneurs, dans un milieu de petite PME familiale”, raconte l’intéressée. “Nous avons toujours eu une approche du business marquée par le souci de son impact et du bien-être de tous. L’entreprise a toujours été vue comme un outil qui permet de vivre et faire-vivre, une philosophie des parties prenantes avant l’heure en quelque sorte.” De ce contexte originel, Joëlle a tiré un socle de valeurs fondamentales qui vont dicter ses choix de carrière, un intérêt sincère et continu pour la compréhension de l’impact des entreprises sur la société.
En 1996, Master en sciences de gestion et administration des entreprises et CEMS Master en management international de l’Université Catholique de Louvain (Belgique) en poche (1), la toute jeune diplômée s’essaye d’abord au conseil… mais ce n’est pas vraiment le coup de foudre : “Il fallait aller très vite et s’aligner sur ce que le client voulait entendre, et je n’étais pas très à l’aise avec ça.”
Elle choisit donc de retourner sur les bancs de l’université pour entamer conjointement un doctorat en sciences de gestion et un master en psychologie. Elle obtient un mandat de chercheur aspirant auprès du très concurrentiel Fonds National de la Recherche Scientifique belge (2) ainsi que différentes bourses qui lui permettent de faire des séjours de recherche à l’Université de Auckland (Nouvelle-Zélande), à la Delft University of Technology (Pays-Bas) et à la Eindhoven University of Technology (Pays-Bas). Le résultat : une thèse intitulée « The Role of Surprise In Satisfaction Judgements » (3) présentée devant le jury de l’Université de Louvain en 2002 et s’intéressant au processus par lequel l’émotion de la surprise peut conditionner la satisfaction du consommateur, une conviction des entreprises à l’époque mais jusqu’alors jamais confirmée scientifiquement.
Elle entame ensuite sa carrière de professeure à l’Université Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas) et pose les fondations des années qui s'ouvrent devant elle : “J’ai commencé à travailler sur les problématiques RSE dès mes premiers mois en post-doctorat. À l’époque, RSE et marketing existaient dans deux bulles qui ne se croisaient pas. Mais je voulais que mes recherches aient un impact sur ma discipline, contribuer à changer l’orientation du marketing en l’éloignant de son obsession pour la croissance pour le faire évoluer vers l’idée de bien-être, de mieux-vivre, de bien commun pour la société.”
Elle concentre donc ses efforts sur la compréhension et l’amélioration des comportements des consommateurs et des entreprises. Elle publie par exemple en 2009 dans le Journal of Business Ethics " "Too Good to Be True!". The Effectiveness of CSR History in Countering Negative Publicity "(4). Journal pour lequel elle deviendra d’ailleurs section editor de la rubrique RSE deux ans plus tard. “J’y ai été le témoin direct de l’évolution de la recherche en marketing, d’une approche très business au départ, centrée sur les questions d’enjeux financiers à communiquer sur les sujets RSE, à une intégration bien plus systématique des problématiques de durabilité”, résume-t-elle.
Elle rejoint l’EDHEC Business School en 2011 en tant que Professeure de Marketing, après un passage d’un an à l’IESEG School of Management. Dans les programmes et les cours, les aspects RSE sont alors abordés dans leur propre silo. “Rapidement, grâce aux audits et en étant à l’écoute des changements de la société et de la discipline, la durabilité a fait son entrée dans les programmes et les cours”, raconte-t-elle, “d’abord en tant que module séparé, puis en tant que point de départ”. L’Executive MBA de l'EDHEC, dont elle a pris la direction académique en 2022, est ainsi passé d’une approche growth-oriented à une approche well-being oriented et la durabilité est désormais une composante de tous les cours. Pour Joëlle, “le marketing doit être en lui-même une forme d’éducation : il doit chercher à faire comprendre, à faire évoluer les comportements, il ne peut pas être simplement un outil au service du profit.”
En parallèle de ses enseignements, Joëlle Vanhamme est restée une chercheuse avide de solutions. Elle a consacré ses derniers travaux aux questions du marketing durable et de la RSE, s’intéressant notamment à l’économie de la réparabilité (5), aux problématiques de l’obsolescence (6), aux consommateurs de luxe éthique (7), ou aux tensions émergeant dans certains secteurs comme l’industrie automobile (8) du fait des exigences de durabilité.
Publiée dans les revues internationales qui comptent dans l’univers du marketing et citée à près de 7 500 reprises, Joëlle garde un œil affuté sur les évolutions de la discipline en contribuant aux comités de lecture et en étant relecteur ad-hoc de plusieurs revues de renom, ou en supervisant des PhD. “C’est très important pour moi de rester connectée aux jeunes générations pour guider ceux qui arrivent dans le milieu académique et m’assurer que la recherche en marketing continue à s’investir dans le champ de la durabilité”, conclut-elle.
Dates clés
Depuis 2022 : directrice académique de l’executive MBA, EDHEC Business School, France
2012 : Habilitation à diriger les recherches, Université de Bourgogne, France
Depuis 2011 : Professeure de marketing, EDHEC Business School, France
2011-2018 : Section editor (CSR), Journal of Business Ethics
2009-2010 : Professeure associée, IESEG School of Management, France
2002-2009 : Professeure assistant, Université Erasmus, Pays-Bas
1998-2002 : Doctorat en sciences du management, Université Catholique de Louvain, Belgique. Thèse : « The Role of Surprise in Satisfaction Judgments » et séjours de recherche à University of Auckland (Nouvelle Zélande), TU Delft (Pays-Bas) et TU Eindhoven (Pays-Bas).
1998 - 1999 : Master en psychologie, Université Catholique de Louvain, Belgique
1995-1996 : CEMS Master en Management International, Université Catholique de Louvain, Belgique
1991-1996 : Master en Sciences de Gestion et Administration des Entreprises, spécialité marketing, Université Catholique de Louvain, Belgique
Pour en savoir plus sur Joëlle Vanhamme:
- Voir sa page EDHEC
- Accéder à son profil Google Scholar
- Visiter son profil Linkedin
Références
(1) Master CEMS - Master in International Management (MIM) : https://uclouvain.be/en/faculties/lsm/cems.html
(2) Fondation d'utilité publique, le F.R.S.–FNRS soutient le développement de la recherche fondamentale dans la Fédération Wallonie-Bruxelles. https://www.frs-fnrs.be/
(3) Published in 2001 https://pul.uclouvain.be/book/?gcoi=29303100127600
(4) Vanhamme, Joëlle, and Bas Grobben. “‘Too Good to Be True!’. The Effectiveness of CSR History in Countering Negative Publicity.” Journal of Business Ethics, vol. 85, 2009, pp. 273–83. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/40294841. Accessed 8 Mar. 2024.
(5) Pauline Munten, Joëlle Vanhamme," To reduce waste, have it repaired! The quality signaling effect of product repairability", Journal of Business Research, Volume 156, 2023, 113457 - https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296322009225?via%3Dihub
(6) Munten, P., Vanhamme, J., & Swaen, V. (2021). Reducing obsolescence practices from a product-oriented PSS perspective: A research agenda. Recherche et Applications En Marketing (English Edition), 36(2), 42-74. https://doi.org/10.1177/2051570720980004
(7) Vanhamme, J., Lindgreen, A. & Sarial-Abi, G. Luxury Ethical Consumers: Who Are They?. J Bus Ethics 183, 805–838 (2023). https://doi.org/10.1007/s10551-021-04981-3
(8) Pauline Munten, Joëlle Vanhamme, François Maon, Valérie Swaen, Adam Lindgreen, "Addressing tensions in coopetition for sustainable innovation: Insights from the automotive industry", Journal of Business Research, Volume 136, 2021, Pages 10-20 - https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0148296321005002?via%3Dihub
(9) Google Scholar : https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=ThilMMoAAAAJ