Anticiper les émotions, adopter une approche éthique : quelles pistes pour les organisations ?
Dans cet article, basé sur un papier académique récent (1), Fabian Bernhard (EDHEC) et Udo Rudolph (TUC) analysent dans quelle mesure nous pouvons prévoir nos propres émotions - en particulier le sentiment de culpabilité dans les groupes - et comment cela peut influencer une approche morale et des comportements sociaux.
Alors que dans le passé, les philosophes pensaient que notre comportement moral était un choix basé sur une prise de décision rationnelle, la psychologie a remis en question cette hypothèse en soulignant le rôle que jouent, dans notre moralité, les émotions telles que les sentiments de culpabilité. Alors que les organisations sont confrontées à des défis éthiques, la compréhension de la manière dont les individus prévoient et réagissent aux actes (collectifs) répréhensibles peut offrir des stratégies exploitables pour améliorer la prise de décision et encourager la responsabilité.
Dans quelle mesure pouvons-nous prévoir notre propre émotivité ? Comment nous sentirions-nous et nous comporterions-nous moralement si nous étions placé dans telle ou telle situation difficile ? Quelles sont les implications en termes de comportements moraux ? Quels exemples clés pourraient illustrer cela ?
L'écart entre culpabilité anticipée et culpabilité réelle
Imaginez que vous fassiez partie d'une équipe qui s'efforce d'atteindre un objectif important à long terme. En cours de route, votre équipe sera confrontée à une série de décisions et d'actions, dont certaines peuvent susciter des sentiments de fierté et d'accomplissement lorsque les choses vont bien. Mais lorsque les choses tournent mal, des émotions telles que la culpabilité ou le regret peuvent apparaître. Ces émotions, connues sous le nom "d'émotions morales", sont enracinées dans nos jugements du bien et du mal.
Au cours de la dernière décennie, la recherche a montré que, plutôt que des considérations purement rationnelles, les émotions jouent un rôle crucial dans la manière dont nous évaluons les situations éthiques et prenons des décisions. Aujourd'hui, il est largement admis que les émotions morales sont essentielles pour guider et réguler notre comportement - à la fois en tant qu'individus et au sein des équipes.
Lorsqu'il s'agit de décisions collectives, non seulement les équipes, mais aussi des organisations entières, des collectifs et des pays sont souvent confrontés à des dilemmes éthiques qui entraînent des dommages involontaires ou des avantages immérités. Dans une étude récente (1), mon co-auteur - Udo Rudolph (TUC) - et moi-même avons constaté que les individus ont tendance à surestimer de manière significative leur sentiment (anticipé) de culpabilité face à une faute collective, ce qui peut influencer leurs actions. En effet, lorsqu'ils sont confrontés aux conséquences réelles des décisions de leur groupe, les participants à l'étude ressentent souvent moins de culpabilité qu'ils ne l'imaginaient.
Cet écart entre la culpabilité imaginée (ou anticipée) et la culpabilité vécue (ou réelle) souligne l'importance de concevoir des systèmes et des pratiques qui encouragent un comportement éthique basé sur des contextes réels.
Le rôle clé de la responsabilité directe
Un moyen efficace de remédier à ce décalage et à la surestimation de notre propre moralité qui en résulte consiste à encourager la responsabilité directe dans la prise de décision. Encourager les équipes à examiner l'impact de leurs décisions en temps réel peut conduire à une réflexion immédiate et à des mesures correctives. Il est également essentiel d'aligner les objectifs de l'équipe sur des normes éthiques.
Lorsque l'éthique est intégrée aux objectifs du projet et aux chartes d'équipe, elle reste une priorité tout au long du processus de prise de décision. En outre, des occasions régulières de réflexion, telles que des discussions trimestrielles, peuvent contribuer à renforcer une culture d'apprentissage et d'amélioration continus en matière de prise de décision éthique.
L'intérêt des scénarios et des simulations
Il est intéressant de noter que cette recherche révèle que les individus ressentent une réaction morale plus forte lorsque leur groupe cause du tort que lorsqu'il procure des avantages immérités à d'autres personnes. Les organisations devraient tirer parti de cette constatation en axant les formations et les discussions sur des scénarios qui mettent en évidence les conséquences des préjudices causés par l'inaction ou des décisions biaisées. Cette approche peut encourager les équipes à développer des approches plus justes et plus réfléchies de la prise de décision.
Les simulations constituent un autre outil puissant pour combler le fossé entre les réponses morales imaginées et réelles. En créant des environnements sûrs et "contrôlés", les simulations permettent aux employés d'explorer les conséquences de leurs décisions, améliorant ainsi leur capacité à prévoir et à relever les défis éthiques. Des formations en réalité virtuelle, par exemple, ont été utilisées efficacement pour plonger les cadres dans des scénarios qui mettent en évidence les implications éthiques des décisions relatives à la chaîne d'approvisionnement, ce qui a favorisé une compréhension plus profonde et de meilleurs résultats.
Quelques exemples concrets
Voici quelques exemples que nous avons formalisés en réfléchissant à ces questions :
- Une multinationale a mis en place des ateliers de jeux de rôle où les employés simulaient des décisions d'allocation de ressources. Les participants se sont déclarés plus conscients des conséquences morales du favoritisme et ont modifié leur approche dans le cadre de projets réels.
- Une entreprise technologique a mis en place une politique dans le cadre de laquelle les équipes examinent régulièrement les commentaires des clients sur le caractère équitable et durable des produits. Ces discussions ont débouché sur des changements réalisables, y compris la refonte de certaines caractéristiques favorisant plus d'inclusivité.
- Une institution financière a organisé des ateliers pour aborder les implications éthiques d'une allocation biaisée de crédit. En se concentrant sur les cas où des groupes fragiles ont subi un préjudice, les participants ont été incités à créer des critères d'évaluation plus équitables.
- Une entreprise de vente au détail a organisé des séances de réflexion trimestrielles au cours desquelles les équipes évaluaient les décisions prises par le passé en fonction de normes éthiques en constante évolution. Cette pratique a permis d'intégrer l'apprentissage moral continu dans la culture de l'entreprise.
- Une entreprise du secteur de l'énergie a mis au point une plateforme ouverte d'engagement où les employés signalent leur soutien à des initiatives de développement durable. La reconnaissance par les pairs et des mises à jour régulières ont assuré le suivi de ces engagements.
Comprendre la dynamique de la culpabilité collective et se l'approprier peut permettre aux chefs d'entreprise de favoriser une culture de la responsabilité, de l'empathie et de l'action éthique.
Les équipes, les groupes et les organisations qui comblent le fossé entre le comportement moral anticipé et le comportement moral vécu renforcent non seulement leurs fondements éthiques, mais aussi la confiance et le succès à long terme.
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