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René Rohrbeck: "Soutenir et encourager un changement positif à l'échelle du système n'est jamais facile ni linéaire"

Rene Rohrbeck , Professor, Foresight, Innovation and Transformation Chair Director

À la tête du Centre for Net Positive Business, projet pilier du plan stratégique 2024-2028, René Rohrbeck nous livre sa vision du rôle catalyseur que peut jouer cette nouvelle entité dans la formation des leaders de demain, mais également pour les business existants.

 

 

Temps de lecture :
14 avr 2025
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Grâce à ses recherches, le Centre for Net Positive Business entend nourrir de nouveaux modèles économiques qui catalysent le changement positif. Cet objectif est-il réaliste ?

Rene Rohrbeck: Nous sommes ambitieux, puisque nous souhaitons inciter les entreprises à impulser le changement. Aujourd'hui, dans de nombreuses sociétés, la pression des investisseurs pour générer continuellement des rendements plus élevés compromet certaines avancées majeures. Nous avons besoin d'entreprises capables d'incuber de nouveaux modèles économiques pour relever nos défis mondiaux

 

II ne faut pas oublier que le capitalisme est une incroyable réussite, en cela qu'il a permis de faire passer la pauvreté extrême de 80% de la population mondiale en 1820 à moins de 10% en 2020. Aujourd'hui, nous devons à nouveau nous appuyer sur la puissance des entreprises pour protéger notre climat, notre biodiversité, promouvoir l'égalité à l'échelle mondiale et rendre l'éducation accessible à tous.

 

Le Centre for Net Positive Business a pour mission l'identification de secteurs à la fois économiquement attractifs et capables d'impulser un changement positif. À l'EDHEC, je m'inspire beaucoup des conversations que je mène chaque jour avec des dirigeants d'entreprises familiales du nord de la France qui ont su garder, sur deux ou trois générations, un sens aigu de la responsabilité envers Ieur environnement et Ieur écosystème, qu'ils souhaitent continuer à préserver. Le concept de Net Positive Business nous invite à réfléchir à tous les impacts qu'une entreprise a sur la planète, les personnes et l'écosystème qui l'entoure. Par essence, l'entreprise net positive apporte plus qu'elle ne prend à son environnement. 

Aujourd'hui, nous manquons encore d'une grille de lecture unique applicable à la question de l'impact. C'est la raison pour laquelle nous travaillerons aussi avec des partenaires, des gouvernements et des think tanks à l'échelle mondiale pour définir ensemble comment mesurer cet impact positif.

 

Vous êtes donc optimiste pour l'avenir ?

Rene Rohrbeck: Les gens qui me connaissent attesteront que je suis naturellement optimiste. Mais cela ne suffit pas : il s'agit, comme l'a réaffirmé récemment Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial, d'être un «optimiste rationnel ». 

Je trouve cette idée intéressante. Elle souligne que nous devons comprendre à la fois comment concrétiser les changements positifs nécessaires et pourquoi nous pouvons être confiants dans les moyens que nous avons collectivement de faire advenir ce changement.

 

Celui-ci doit être le fruit de nouvelles idées, d'une réflexion rationnelle et d'un dialogue — ce que Platon appelait Ie logos —, combinés à une volonté collective d'agir — l'épithumia.
J'appelle le processus reliant ces deux concepts « anticipation collaborative ». Les plans de décarbonation, tels que le scénario Net Zero by 2050 de l'Agence internationale de l'énergie, en sont des illustrations. 

Le Centre for Net Positive Business se propose d'aller plus Ioin en définissant avec l'industrie des trajectoires de durabilité, c’est-à-dire des feuilles de route vers des résultats planétaires nécessaires, et les opportunités commerciales qui peuvent les catalyser.

 

Avoir vu, étudié et contribué à ces nouveaux chantiers me rend « rationnellement optimiste », surtout lorsqu'on sait que l'industrie a les capacités de développer de nouvelles technologies et solutions à échelle. C'est le passage de la découverte à la création d'entreprises et à Ieur développement qu'il faut accélérer.

 

Concrètement, quelle est la méthodologie du Centre for Net Positive Business pour atteindre ces objectifs ?

Rene Rohrbeck: Du point de vue méthodologique, nous apportons notre expérience de travail à travers la prospective, la recherche de tendances et la pensée en systèmes. Des outils grâce auxquels nous pouvons identifier des points de bascule, ces moments où des changements irréversibles et perturbateurs se produisent. 

Grâce à la planification «future-back», nous engageons ensuite nos partenaires du secteur privé à codévelopper des solutions à des niveaux macroéconomiques, en les connectant à des acteurs tels que les gouvernements, les organismes industriels et les régulateurs.

 

À titre d'exemple, notre programme "Future of Buildings" sur l'avenir des bâtiments a travaillé sur la circularité, considérée par l'Union européenne comme étant le principal moteur d'un avenir plus durable. Nos recherches ont révélé que les revêtements de sol constituent l'une des nombreuses opportunités intéressantes. En Europe, nous en installons 3 milliards de mètres carrés chaque année, dont au moins 1,5 milliard pourraient être recyclés ou réutilisés. Aujourd'hui, ce n'est pas encore une pratique courante dans l'industrie. 

Dans notre programme, deux partenaires, JLL et Tarkett, ont piloté un projet pour faire avancer la faisabilité technique et identifier un modèle économique qui, à grande échelle, pourrait permettre de réduire les émissions de CO2 associées en Europe de 10 à 20 millions de tonnes par an. Mais pour cela, les fabricants et les clients doivent repenser à l'échelle Ieurs processus et modèles économiques.

 

En tant qu'acteur indépendant, nous pouvons aider les entreprises à cartographier Ieurs chaînes de valeur futures et à définir des modèles économiques innovants et collaboratifs. Parfois, une entreprise seule pourra accomplir ce travail, parfois la coentreprise (joint-venture) aura plus de sens, et parfois des fusions et acquisitions pourront aider. Dans certains cas, il faudra aussi pouvoir adapter une réglementation qui était bien intentionnée à l'origine, mais qui aujourd'hui freine les progrès.

Nous ne sommes pas seuls dans cette mission, puisque nous collaborons avec des think tanks comme le World Economic Forum, des fondations philanthropiques telles que la Fondation Somfy, et des catalyseurs de technologies durables comme la Fondation Solar Impulse.

 

Quels sont les freins qu'il vous reste à lever ?

Rene Rohrbeck: Soutenir et encourager un changement positif à l'échelle du système n'est jamais facile ni linéaire. Le cas du projet Better Place créé par Shai Agassi en 2007 en est une bonne illustration. Il visait à surmonter les temps de recharge trop longs des batteries de voitures électriques en construisant des stations d'échange de batteries. 850 millions de dollars ont été investis dans le projet, avant qu'il ne fasse faillite en 2013. C'était un concept ambitieux, mais en avance sur son temps. Par ailleurs, sa stratégie le plaçait en conflit avec les intérêts des leaders de la construction automobile.

Mais un bon concept ne meurt jamais. Il a été récemment repris par la société automobile chinoise NIO, qui a construit pour ses voitures de luxe plus de 2300 stations d'échange de batteries en Chine, ou par la société taïwanaise de scooters Gogoro, qui exploite 11000 stations dans lesquelles les batteries peuvent être échangées en seulement trois minutes.

 

Pourquoi est-il si important de développer un tel centre au sein même d'une école ?

Rene Rohrbeck: En tant qu'écoIe de management, nous avons l'obligation de faire plus
pour découvrir et développer ce type de nouveaux modèles commerciaux afin d'impulser le changement positif. Nous devons former des leaders à penser en systèmes et à favoriser la collaboration tout au Iong de la chaîne de valeur. Nous devons aussi Ieur apprendre à sauter des étapes et à adopter des solutions radicalement nouvelles si nécessaire. 

À différents moments de nos vies, nous avons des arbitrages à opérer. Dans les entreprises traditionnelles, nous devons faire en sorte que chacun évolue dans un environnement sûr et sécurisé, où il a les moyens d'agir.

Enfin, tout cela transite par la cocréation de solutions avec le secteur industriel, par la recherche, mais aussi par l'éducation de nos étudiants et le développement de Ieur esprit critique. Nous sommes prêts, tout comme de nombreux acteurs qui nous aident déjà aujourd'hui et nous aideront à l'avenir, à avoir un impact positif.