[Cas par cas #6] Peter Daly et Sabine Ruaud: pourquoi la stratégie d'éco-branding de Cabaïa est-elle un succès ?
Dans cette interview à deux voix, Peter Daly – Professeur à l'EDHEC & directeur du MSc in Management & Leadership – et Sabine Ruaud – Professeure à l'EDHEC, présentent leur dernière étude de cas “Cabaïa: Can an eco-branding sustainability strategy foster the internationalisation of a Born Global?” (1).
Qu'est ce qu'une entreprise "born global" ? En quoi est-elle caractéristique de notre économie du 21e siècle ?
Peter Daly: Dans les années 1990, les recherches universitaires menées par Oviatt et McDougall (2) ont permis d'identifier un phénomène alors émergent : les "nouvelles entreprises internationales" qui s'internationalisent dès leur création ou presque. Souvent appelées "born-globals" (BG) (3), elles connaissent une internationalisation accélérée. Alors que les jeunes entreprises traditionnelles sont généralement d'origine nationale et se transforment progressivement en multinationales, les BG commencent de plus en plus par être dès le départ des entreprises internationales, faisant du monde leur terrain de jeu. La principale caractéristique qui les différencie est l'âge de l'entreprise lorsqu'elle devient internationale. À peine créées, elles partent à l'étranger pour atteindre des marchés plus vastes. Ce qui pourrait être considéré comme le privilège des grands groupes multinationaux est devenu le modèle de développement de ces entrepreneurs agiles et ambitieux.
Sabine Ruaud: Aujourd'hui, on trouve ces entreprises en abondance dans de nombreux pays (4). Ce processus d'internationalisation précoce et rapide est disruptif et remet en question l'universalité des modèles traditionnels d'internationalisation par étapes. Le principal modèle utilisé est celui d'Uppsala (5), qui suggère de maîtriser d'abord les activités courantes de l'entreprise, d'acquérir un certain savoir-faire sur le marché national avant d'exporter à l'étranger et de bien connaître le marché étranger avant de décider de s'y engager. Selon ce modèle, il est recommandé de commencer à exporter vers des pays proches en termes de distance, de langue et de culture, afin d'acquérir progressivement de l'expérience au-delà de ses frontières. Ce n'est qu'ensuite que l'organisation sera prête à conquérir des marchés plus éloignés et plus complexes. Le modèle d'internationalisation d'Uppsala est largement utilisé en raison de sa simplicité et de son applicabilité. Cependant, la littérature montre que les stratégies de l'entreprise (cibler un marché de niche, par exemple) et ses ressources (par exemple, une excellente image de marque) peuvent réduire les barrières à l'entrée, facilitant ainsi un développement international plus rapide.
Peter Daly: Les Born Globals sont également devenus des modèles pour tous les entrepreneurs désireux de se développer à l'international. Le lancement d'une start-up est l'une des réponses à la quête d'expérience si chère aux millennials. Les "Millennipreneurs" se sont imposés comme la nouvelle référence pour les entrepreneurs du monde entier, et le 21e siècle aime l'entrepreneuriat...
Pourquoi vous êtes vous intéressés à Cabaïa ? Qu'est-ce qui fait sa spécificité ? Comment se comporte-t-elle sur un marché manifestement très concurrentiel ?
Sabine Ruaud: Nous avons rencontré Bastien Valensi au tout début de son aventure entrepreneuriale. Nous avons tout de suite été séduits par le concept de cette marque engagée, qui a commencé par vendre des bonnets de laine avec pour objectif d' "apporter une dose de bonheur dans le quotidien des gens en créant des accessoires de mode ludiques, colorés et ingénieux". La clé du succès de Cabaïa, son ADN en quelque sorte, réside dans sa capacité à surprendre et à trouver des moyens créatifs pour vendre ses produits. Bastien Valensi explique : "Tout le monde peut vendre des bonnets de laine par exemple. Notre valeur ajoutée n'est ni dans le design ni dans la qualité, car d'autres marques savent aussi le faire. Nous conceptualisons nos idées et mettons en scène nos produits, c'est notre secret".
Peter Daly: Le succès de Cabaïa est basé sur la narration, construite autour des produits. Cabaïa était et est un vendeur d'histoires, pas de produits. Depuis sa création, Cabaïa a continué à développer d'autres produits innovants, et compte aujourd'hui une quinzaine de produits dans son catalogue. L'un de ses produits phares est le sac à dos. Lancé en 2019, les ventes ont doublé chaque année, grâce à un concept astucieux de sacs personnalisables garantis à vie et à une stratégie de distribution ingénieuse. En 2023, Cabaïa est devenu le deuxième vendeur de sacs à dos en France derrière Eastpak.
Sabine Ruaud: Dans un environnement économique ultra-concurrentiel où le pouvoir des émotions et des expériences est important (6), Cabaïa a su se démarquer et créer un produit préférentiel. Si la marque est déjà présente dans une dizaine de pays européens (elle jouit d'une forte notoriété en Allemagne où elle est distribuée par 400 détaillants), c'est son succès international qui permettra à Cabaïa de changer d'échelle. Bastien Valensi regarde actuellement outre-Atlantique pour atteindre son objectif le plus ambitieux : un chiffre d'affaires d'un milliard d'euros d'ici la fin de la prochaine décennie.
Comment utilisez-vous ce cas avec vos élèves et quelles sont les principales leçons à en tirer ?
Sabine Ruaud: Ce cas a pour but d'exposer les étudiants en entrepreneuriat aux défis posés par l'expansion internationale des jeunes entreprises. En retraçant l'histoire de la création et du développement d'une INV (International New Venture), les étudiants peuvent apprécier les étapes de son internationalisation. Le cas Cabaïa met en lumière des sujets clés liés à la compréhension :
- des pré requis à une expansion internationale rapide pour une entreprise,
- des modèles de développement international les plus adaptés aux jeunes entreprises,
- des modes d'entrée les plus appropriés pour que les start-ups se développent à l'étranger,
- de l'utilisation des capacités de marketing pour favoriser une internationalisation rapide,
- de l'existence potentielle de cibles au niveau mondial et
- de la pertinence du choix d'une stratégie d'éco-marquage pour une entreprise née à l'étranger.
Ce cas peut être utilisé dans le cadre de programmes de premier et de deuxième cycle. Il est particulièrement adapté aux cours tels que l'entrepreneuriat, le commerce international et la gestion des petites entreprises. Le cas peut être utilisé pour aider les étudiants à discuter et à comprendre le modèle d'internationalisation Born Global ainsi que les choix préférés des modes d'entrée pour les PME. Il peut également aider à discuter des avantages et des opportunités de s'adresser à une cible mondiale et d'utiliser une stratégie d'éco-branding pour s'internationaliser.
Peter Daly: S'intéresser au phénomène BG implique non seulement des considérations économiques, mais aussi des enjeux sociétaux et générationnels. C'est un thème qui résonne fortement chez nos étudiants, qui se caractérisent par des personnalités à l'esprit conquérant et au goût prononcé pour l'international (7). N'oublions pas que l'entrepreneuriat fait partie de l'ADN de l'EDHEC depuis sa création en 1906 par des chefs d'entreprise et depuis que l'École a rejoint Station F en 2017 !
Comment ce cas s'inscrit-il dans vos autres travaux de recherche, passés et futurs ?
Sabine Ruaud: Peter et moi travaillons sur ce thème des Born Globals depuis plusieurs années. Nous avons tissé des liens étroits avec un certain nombre de start-ups, ce qui nous a permis de mener à bien différents projets de recherche et publications, par exemple, "Merci Handy : From start-up to born global ?" (8). Nous avons également mené une réflexion plus large intitulée "Language in French DNVB Start-ups: Challenges when internationalizing", recherche présentée au 12ème Congrès de l'Académie de l'Entrepreneuriat et de l'Innovation (9). Enfin, nous rédigeons régulièrement des études de cas qui permettent de développer les compétences de nos étudiants-entrepreneurs, en combinant formation théorique et applications pratiques. La dernière en date est celle de Cabaïa (1) que nous présentons dans cette interview.
Références
1) Boulocher V., Daly P and Ruaud S. (2023), Cabaïa: Can an eco-branding sustainability strategy foster the internationalisation of a Born Global? – Chapter 10, in Erik S. Rasmussen E.S., J.D. (coord.), Cases on Born Globals, Edward Elgar Publishing, pp.130 145. https://ideas.repec.org/h/elg/eechap/21625_10.html
(2) Oviatt B.M. and McDougall P.P. (1994), Toward a theory of international new ventures, Journal of International Business Studies 25(1): 45–64. https://link.springer.com/article/10.1057/palgrave.jibs.8490193
(3) Rennie M.W. (1993), Global competitiveness: Born global. McKinsey Quarterly, 4: 45–52. https://www.proquest.com/docview/224554703?sourcetype=Scholarly%20Journals
(4) Cavusgil S.T. and Knight G. (2015), The born global firm: an entrepreneurial and capabilities perspective on early and rapid internationalization, Journal of International Business Studies 46(1): 3–16. https://link.springer.com/article/10.1057/jibs.2014.62
(5) Johanson J. and Vahlne J.E. (1977), The internationalisation process of the firm – a model of knowledge development and increasing foreign market commitment, Journal of International Business Studies 8(2): 23–32. https://www.jstor.org/stable/254397
(6) O'Shaughnessy, J., & O'Shaughnessy, N. J. (2002). The Marketing Power of Emotion. Oxford University Press. https://global.oup.com/academic/product/the-marketing-power-of-emotion-9780195150568?cc=fr&lang=en&
(7) EDHEC New Gen Talent Centre Barometer – Nov 2023.
https://www.edhec.edu/sites/default/files/2023-11/202311_Barom%C3%A8tre_3%C3%A8me%20edition.pdf
(8) Boulocher V., Daly P and Ruaud S. (2019), Merci Handy: From start-up to born global? The International Journal of Entrepreneurship and Innovation, vol.20, n°4, pp.301 309. https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1465750319831921
(9) Boulocher V., Daly P and Ruaud S. (2024), Sustainable entrepreneurship within fashion: La Gentle Factory story’, The International Journal of Entrepreneurship and Innovation (forthcoming).
Dans ce nouveau cas par cas #6, Peter Daly - Professeur à l'EDHEC & Directeur du MSc in Management & Leadership et Sabine Ruaud - Professeure à l'EDHEC, présentent leur dernière #étude de cas : "Cabaïa: Can an eco-branding sustainability strategy foster the internationalisation of a Born Global?". Ils décryptent les caractéristiques des entreprises dites Born global, la singularité de Cabaïa et expliquent comment ce cas aide les étudiants à comprendre les défis auxquels sont confrontées les start-ups à croissance rapide.
Découvrez cette interview à deux voix :
In English 👉 https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/case-by-case-6-peter-daly-and-sabine-ruaud-why-eco-branding-strategy-of-cabaia-success
En français 👉 https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/cas-par-cas-6-peter-daly-et-sabine-ruaud-pourquoi-strategie-eco-branding-cabaia-succes
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