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[Cas par cas #8] P. Daly et S. Ruaud - Mode et entrepreneuriat responsable : l’histoire de La Gentle Factory

Peter Daly , Professor
Sabine Ruaud , Professor

Dans cette interview à deux voix, Peter Daly – Professeur à l'EDHEC & directeur du MSc in Management & Leadership – et Sabine Ruaud – Professeure à l'EDHEC, présentent une nouvelle étude de cas “Sustainable entrepreneurship within fashion: La Gentle Factory story" (1).

Temps de lecture :
12 Sep 2024
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Pourquoi avez-vous décidé d'étudier le lancement d'une marque de vêtements éco responsables ?

Sabine Ruaud : La mode serait la deuxième industrie la plus polluante du monde (2). Ce constat est en partie lié à l’essor de la fast fashion, dont le succès est basé sur une course aux volumes et aux prix bas, un renouvellement rapide des collections et un modèle totalement linéaire (à l’échelle mondiale, moins de 1% de tous les matériaux utilisés par l’industrie sont recyclés en vêtements neufs). Pourtant, cette logique n’est pas irréversible : l’émergence d’une mode alternative audacieuse et plus respectueuse des hommes et de l’environnement est possible (3). A condition, pour le secteur, de transformer radicalement son modèle…

 

Peter Daly : C’est le cas de cette marque de vêtements, La Gentle Factory (4), créée en 2014 par Christèle Merter. Ingénieure textile et responsable du service qualité d’Happychic pendant plus de dix ans, Christèle avait à cœur de « construire un nouvel imaginaire qui inspire les clients et les entraîne vers des pratiques plus durables et responsables ». Ses convictions inébranlables, sa motivation à toute épreuve et sa capacité à fédérer des équipes et des partenaires autour de son projet lui ont permis de se lancer et de concevoir une mode qui a le sens de la séduction autant que celui des responsabilités. Cette étude de cas s’intéresse aux défis auxquels Christèle a été confrontée pour s’imposer dans l'industrie de la mode durable.

 

En quoi ces enjeux sont cruciaux pour un secteur montré du doigt et agité des démons de la "fast fashion" ?

Peter Daly : Face à l’urgence climatique et à l’explosion des émissions de CO2 ces dernières décennies, notamment en raison du succès de la fast fashion, les consommateurs se tournent de plus en plus vers la « slow fashion », autrement dit la mode durable. Ce secteur, caractérisé par l’utilisation de matières naturelles ou recyclées, par la garantie de conditions de travail et de rémunérations justes, et par une fabrication locale du vêtement, rencontre un succès grandissant dans le monde entier, si bien que le chiffre d’affaires mondial de la mode éthique, qui était d’environ 6,9 milliards de dollars en 2021, devrait atteindre plus de 10 milliards de dollars en 2026. En France aussi (5), malgré des prix jugés élevés et un système de labels qui peut paraître complexe, le marché de la mode éthique s’impose lentement.

 

Quels sont les points clés sur la mode durable que vous souhaitez voir enseignés à travers ce cas (1) ?

Sabine Ruaud : En retraçant l'histoire de La Gentle Factory, ce cas vise à exposer les étudiants aux défis auxquels sont confrontés les entrepreneurs durables au sein l'industrie de la mode. Il met en lumière les sujets clés liés à la compréhension de ces défis, les déterminants de l'entrepreneuriat responsable au sein des PME, les différents types d'innovation orientée vers le développement durable ainsi que l'importance des alliances et des réseaux ; enfin, il montre comment l'utilisation de la narration a permis de construire une nouvelle entreprise durable en se concentrant sur la vision, la mission et les valeurs de sa fondatrice.

 

Les étudiants vous semblent-ils plus sensibilisés à ces questions à l'issue du cas ? Avez-vous eu des exemples d'étudiants qui ont clairement exprimé vouloir se lancer dans des projets de ce genre ?

Sabine Ruaud : Nos étudiants EDHEC appartiennent à cette communauté grandissante de convaincus du bien-fondé, voire de l’impératif, de la mode durable : de leur point de vue, désirabilité et durabilité doivent clairement se “pacser“ pour une mode ayant du sens. Certains se lancent dans l’aventure. Je pense en particulier à Camille Jaillant et à Hortense Sablon.

En lançant sa marque de vêtements éthiques en 2019, Olistic The Label (6), Camille Jaillant fait partie de cette nouvelle génération de créatrices qui ne transmet pas seulement un style, mais une philosophie : celle d'un luxe responsable et respectueux de l'environnement. Toutes ses collections sont conçues à partir de tissus « deadstock », ces restes trop souvent ignorés par les grandes enseignes. Quant à Hortense, elle a fondé en avril 2020 Bazar Atelier Sablon (7) qui confectionne des cabas et des accessoires éthiques en remettant au goût du jour des tissus issus du patrimoine français, notamment la toile de Jouy. Une marque 100% Made in France, de la matière première jusqu'à la fabrication du produit fini, qui travaille en circuit court, avec des artisans et des ateliers locaux (les petits accessoires sont fabriqués à partir de chute de tissus et tous les produits sont cousus dans le sud de la France).

 

L'entrepreneure semble avoir même réussi à aller plus loin qu'une démarche RSE avec une entreprise régénérative (8) : pourriez-vous nous en dire plus ?

Peter Daly : Si on veut une planète qui reste habitable pour l’humanité, les entreprises doivent se transformer radicalement et rapidement : rediriger leur modèle d’affaires pour devenir éco-compatibles.

Christèle Merter a apporté sa pierre à la redynamisation de la fabrication de la mode française dans une perspective circulaire. La Gentle Factory est une aventure à son image, franche et pleine de valeurs, avec l'ambition forte de devenir la première marque de mode régénératrice en Europe. Le défi est maintenant de continuer à être une marque durable, fidèle à ses valeurs, tout en restant économiquement viable dans un environnement très compétitif.