Comment les spéculateurs tirent profit des turbulences bancaires
Teodor Dyakov, Professeur associé à l'EDHEC, met en lumière, dans un article publié initialement sur The Conversation, la façon dont les spéculateurs peuvent tirer profit des turbulences bancaires.
Lorsqu’une société cotée en bourse est en difficulté, les spéculateurs peuvent parier agressivement sur la baisse de la valeur de ses actions et engranger du profit sur le malheur des autres. Les turbulences dans le secteur bancaire américain, survenues mi-mars après les déboires de la Silicon Valley Bank (SVB), en sont un bon exemple.
Au cours de la dernière semaine d’avril et de la première semaine de mai, les actions des banques régionales The PacWest Bankcorp et Western Alliance Bancorporation avaient ainsi chuté fortement, jusqu’à entraîner la suspension de leur cotation à Wall Street. En cause : une vulnérabilité des dépôts identifiée par les investisseurs qui ont multiplié ce type de pari à la baisse malgré une communication rassurante des banques ciblées.
Plus largement, les fonds d’investissement qui détenaient une partie importante d’actions de banques régionales américaines ont également connu des turbulences au cours de la même période. Depuis mi-mars, le cours du fonds SPDR (S&P Regional Banking) a par exemple perdu près de 25 % de sa valeur. Cette forte baisse de la valeur, liée à des mouvements financiers inhabituels, illustre la pression importante exercée par les spéculateurs.
Fonction corrective
D’une manière générale, les spéculateurs peuvent profiter de ces tendances négatives de deux manières.
La première est la vente à découvert : un spéculateur emprunte une action à une autre institution et est obligé de la rendre à son propriétaire initial après une période donnée. Par exemple, supposons que le prix actuel d’une action est de 100 euros, mais qu’un spéculateur pense qu’il est susceptible de baisser. Il peut emprunter l’action (moyennant une commission de quelques centimes) et promet de la rendre dans un mois. Au moment de l’emprunt, le spéculateur vend l’action sur le marché libre et l’achète à nouveau plus tard, afin de la restituer. Si le prix baisse pendant cette période, le spéculateur profite de cette baisse. Ainsi, si le prix a baissé à 90 euros, le spéculateur gagne 10 euros.
La deuxième façon dont les spéculateurs peuvent profiter de la baisse de la valeur des actifs et des entreprises consiste à négocier des produits dérivés, c’est-à-dire des titres indexés sur le cours d’un autre actif (sous-jacent), le plus souvent d’une autre action. Il existe également des produits dérivés qui permettent de vendre titre à une donnée et à un prix fixé à l’avance. Dans ce cas, le spéculateur peut bénéficier de manière significative d’une baisse des prix. Par exemple, un il peut prévoir de vendre 100 euros un titre dans trois mois. Si le prix a effectivement baissé au bout de 90 jours, le spéculateur réalise un bénéfice de 10 euros (moins le coût de la conclusion du contrat de vente).
L’activité de spéculation est souvent perçue de manière négative. Cependant, elle remplit un rôle correctif sur les marchés financiers. Supposons qu’un actif soit surévalué. Les investisseurs qui comprennent la juste évaluation de l’actif peuvent négocier sur cette « information négative » afin de rapprocher le prix des fondamentaux.
Spirale négative
Le problème survient lorsque les spéculateurs parient que leurs opérations excessives rendront l’opération encore plus rentable. Dans l’exemple des banques régionales présenté précédemment, les spéculateurs peuvent se livrer à des ventes à découvert excessives qui entraînent une baisse des prix en dessous de la valeur fondamentale, ou « vraie », de l’entreprise.
Or, si la valeur de marché des banques concernées devient « trop basse », elles auront plus de mal à satisfaire les déposants et les investisseurs restants. Une spirale négative peut alors s’enclencher : l’activité spéculative entraîne une baisse des prix, ce qui incite les déposants à se retirer davantage, ce qui, à son tour, entraîne d’autres mouvements à la baisse de la valeur des actions. La probabilité d’une faillite bancaire augmente alors.
En outre, les banques sont des institutions financières importantes et fortement interconnectées. Autrement dit, les problèmes d’une banque peuvent facilement s’étendre à d’autres. La raison en est que les banques se prêtent beaucoup les unes aux autres et sont exposées aux mêmes types de risques. Ainsi, un excès d’activité spéculative peut amplifier le prix de la baisse des capitaux propres des banques et propager les problèmes à d’autres institutions bancaires.
Depuis début 2022, la banque centrale américaine (la Réserve fédérale, ou Fed) relève progressivement ses taux directeurs (taux auxquels elle prête de l’argent aux banques commerciales) afin de lutter contre les niveaux record d’inflation. Cette politique monétaire constitue une nouvelle contrainte pour les banques régionales en difficulté : les emprunts auprès de la Fed deviennent plus coûteux. Les enseignes, qui payent davantage pour les fonds dont elles ont besoin, pourraient donc répercuter cette hausse sur le taux des leurs prêts commerciaux et restreindre ainsi la demande de crédit de leur client et leur activité. Les banques régionales pourraient donc rester dans le giron des spéculateurs dans les prochains mois.
Pour ce qui est de l’Europe, il existe un risque supplémentaire d’entraîner les coûts du crédit à la hausse. Les banques se sont en effet progressivement détournées de la banque centrale européenne (BCE) à mesure que les taux remontaient à partir de mi-2022. Les établissements ont par ailleurs remboursé des centaines de milliards de prêts quasi gratuits obtenus ces dernières années dans un contexte de taux très bas. Cette moindre offre de liquidité de la part de la BCE pourrait donc alimenter à son tour une augmentation des coûts et restreindre la performance économique des banques.
Autant de perspectives qui pourraient favoriser les paris des investisseurs à la baisse, et donc les opérations spéculatives comme aux États-Unis.
Cet article de Teodor Dyakov, Professeur associé à l'EDHEC Business School, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Photo de Behnam Norouzi sur Unsplash