F. Blanc-Brude (EDHECinfra): “Les risques climatiques extrêmes pour les investisseurs dans les infrastructures sont colossaux et restent largement méconnus, mais aujourd'hui ils peuvent être mesurés grâce aux recherches de l'EDHEC”
L'EDHEC Infrastructure & Private Assets Research Institute vient de publier une étude intitulée "Highway to Hell" (déc. 2023) (1) qui souligne que les investisseurs en infrastructures pourraient perdre jusqu'à 600 milliards de dollars d'ici 2050 en raison des risques de transition et jusqu'à 50 % de leurs portefeuilles en raison du risque physique. Nous avons posé quelques questions à Frédéric Blanc-Brude, directeur de l'Institut et co-auteur de l'étude avec cinq autres chercheurs.
Quelle est la motivation derrière ce travail colossal, et clairement novateur ?
Les actifs d'infrastructures non cotés constituent la colonne vertébrale de nos économies actuelles (aéroports, autoroutes, centrales électriques, ports maritimes, oléoducs, etc.) et du remodelage de nos économies futures (parcs solaires et éoliens, installations géothermiques et hydroélectriques, etc.). Au cours des dernières décennies, les investisseurs institutionnels ont alloué de plus en plus de capitaux à ces actifs et devront continuer à le faire si nous voulons passer rapidement et massivement à des modèles à faible émission de carbone.
Mais sont-ils réellement et précisément conscients des menaces que le changement climatique fait peser sur les infrastructures et, par conséquent, sur leurs propres investissements ? C'est ce qui nous motive depuis des années : fournir des recherches, des indices et des références aux investisseurs du monde entier.
Ce nouveau rapport (1), qui s'inscrit dans cette ambition, fait suite à un précédent rapport (2) qui avait déjà fait parler de lui. Il s'appuie sur plus de deux ans de travail d'une équipe de recherche spécialisée. Nous avons réussi à construire cette analyse complète sur une base de données unique comprenant plus de 9 000 actifs d'infrastructures, tout en utilisant les scénarios du Network for Greening the Financial System (NGFS) pour évaluer l'impact global des risques climatiques sur les investissements d'infrastructures. À notre connaissance, cela n'a jamais été fait auparavant.
Pouvez-vous nous dire quelles sont vos principales conclusions ?
Par rapport à une transition dite "ordonnée" vers une économie à faible émission de carbone (qui aurait démarré hier), un scénario "désordonné" - c'est-à-dire une transition retardée ou non coordonnée - pourrait faire disparaître près de 600 milliards de dollars d'investissements dans les infrastructures, ce qui équivaut à 30 % de la valeur totale investie dans les portefeuilles couverts par notre indice infraMetrics. Les effets négatifs du risque de transition seront ressentis dans tous les secteurs, y compris ceux à faible émission de carbone comme les secteurs des énergies renouvelables et des infrastructures sociales, mais l'impact le plus important serait ressenti par les secteurs de l'énergie et des ressources en eau, avec une réduction de 38 % de la NAV (Net Asset Value) en moyenne.
A l'inverse, en l'absence de toute transition, c'est l'impact des risques physiques sur les investissements en infrastructures qui comptera : d'ici 2050, le coût des risques physiques pourrait représenter une perte cumulée moyenne de 140 milliards de dollars, et lorsqu'un investisseur est exposé aux actifs les plus risqués, les pertes pourraient s'élever à 54% de son portefeuille (dans ce scénario dit "hot house scenario") (2) (3). Pourtant, en raison d'un certain nombre d'hypothèses, notamment dans les scénarios du NGFS, ces pertes potentielles futures peuvent être considérées comme des estimations prudentes...
Face à ces projections, quelles sont vos principales recommandations ?
La principale responsabilité fiduciaire des investisseurs est de gérer au mieux les risques qu'ils prennent pour servir les intérêts de leurs membres et de leurs clients. En ce qui concerne les risques climatiques, les investisseurs sont confrontés à un grand nombre d'inconnues, qu'ils ont du mal à gérer ou à quantifier.
Bien que la tâche ne soit pas aisée - et c'est pourquoi l'EDHEC consacre des ressources au développement de ces recherches - des progrès ont été accomplis et il est désormais possible de mettre en évidence certains des risques liés au changement climatique.
On pourrait dire qu'il n'y a pas de bonne version de cette histoire : soit le changement climatique est coûteux, soit il est très coûteux. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles il est difficile d'intégrer ces connaissances dans les rapports annuels par exemple ou les présentations. Mais il s'agit aussi d'une histoire qui évolue et ces risques peuvent être mieux gérés (diversifiés, couverts ou assurés) une fois qu'ils sont compris et quantifiés.
Nous sommes convaincus que la gestion des risques climatiques n'est possible qu'avec des mesures et des références fiables, afin que les investisseurs puissent à la fois comparer et estimer l'exposition de leur portefeuille et prendre les décisions les plus éclairées possibles. Ce rapport montre, je pense, l'énorme potentiel de mesures cohérentes qui décrivent avec précision l'impact des risques climatiques sur les investissements dans les infrastructures.
Références
(1a) “Highway to Hell - Climate Risks will cost hundreds of billions to investors in infrastructure before 2050” (Dec. 2023), EDHECinfra Paper - Noël Amenc, Frédéric Blanc-Brude, Abhishek Gupta, Bertrand Jayles, Darwin Marcelo, Jeanette Orminski
(1b) Press articles (selection) about this report: Reuters, Financial Newswire, New Civil Engineer, Build in digital, SG Voice, WHBL, Insurance journal
(2 a) “It’s Getting Physical” (August 2023), EDHECinfra Paper - Noël Amenc, Frédéric Blanc-Brude, Abhishek Gupta, Bertrand Jayles, Nishtha Manocha, Darwin Marcelo
(2 b) Press articles (selection) about this report: Infrastructure investor, Capital Monitor, AI-CIO, Fast company, Benefits & Pensions, AM Watch, Real assets IPE, Funds Europe
(3) “Extreme weather could burn investment portfolios by mid-century” (Oct. 2023), The Conversation Europe - Noël Amenc, Frédéric Blanc-Brude, Qinyu Goh, Abhishek Gupta, Bertrand Jayles, Leonard Lum, Nishtha Manocha, Darwin Marcelo