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Hager Jemel-Fornetty : « Notre test permet d’évaluer pour la première fois le sexisme dans les jeux vidéo : les résultats sont sans appel »

Hager Jemel-Fornetty , Associate Professor, Diversity & Inclusion Chair Director

Dans le cadre des Assises de la Parité 2023, la chaire Diversité & Inclusion de l’EDHEC a présenté (1) la suite de ses travaux sur le genre dans les jeux vidéo. A l’instar du test de Bechdel applicable au cinéma, les chercheurs proposent le premier test permettant d’évaluer le degré de parité dans les jeux vidéo (2) dits « à scénario ». Rencontre avec Hager Jemel-Fornetty, professeure associée à l’EDHEC, directrice de la chaire Diversité & Inclusion, et co-autrice de l’étude formalisant cette démarche, éprouvée sur plus de 50 best-sellers… dont aucun ne passe le test.

Temps de lecture :
13 Juil 2023
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Pourquoi s’intéresser aux problématiques de genre dans les jeux vidéo ?

En 2023, plus de 3,75 milliards de personnes - soit 47% de la population mondiale (Statista 2023) - jouent aux jeux vidéo, qui dépassent ainsi toutes les autres productions culturelles en termes d’audience. S’intéresser à leurs narrations et personnages, notamment, en les analysant en tant que producteurs et amplificateurs de biais, de stéréotypes de genre, et donc de sexisme nous semble essentiel. Car d’une manière ou d’une autre, à différents degrés selon les âges et le niveau de maturité des joueurs et des joueuses, ces jeux influencent nos représentations et nos comportements.

Avec deux autres chercheuses, nous avions dressé plusieurs constats sur la manière dont les femmes sont représentées dans les jeux vidéo (3) : elles sont moins nombreuses que les personnages masculins, sont souvent passives, avec un rôle moindre ou subalterne dans l’histoire que ce soit pour les personnages croisés ou incarnés ; quand cela est possible d’incarner des femmes, ce qui est relativement rare. Si nous proposons d’ores et déjà des pistes pour sortir de cette ornière – augmenter considérablement les premiers rôles féminins, sans objectiver leur corps, faciliter l’accès des femmes à l’industrie du gaming… – nous souhaitions pousser plus loin notre analyse, mais aussi produire un outil utilisable par toutes et tous.

 

Avez-vous été étonnée de voir qu’aucun des 51 jeux analysés ne passait le test ?

Oui, honnêtement, car même si je connais l’ampleur et la profondeur des inégalités femmes-hommes actuelles, je pensais que les chiffres étaient moins alarmants. Il y a certes des disparités entre les best sellers testés, mais en moyenne 80% des personnages qui parlent dans les jeux sont de sexe masculin, ratio qui monte jusqu’à 96% dans certains jeux. Et malheureusement ce chiffre est quasiment stable depuis 30 ans. Les rôles attribués sont une sorte de miroir de notre société, et nous avons analysé que 55% des personnages masculins sont très actifs, « en première ligne » (combattants, ninjas, pirates…), chiffre qui tombe à 25% pour les femmes.

Pourtant, les joueurs sont aussi des joueuses, avec peu d’écart en volume : par exemple, 91% des hommes et 86% des femmes de 16-24 ans jouent. C’est pourquoi nous appelons l’industrie des jeux vidéo, à travers sa production et ses univers culturels, à prendre sa part de responsabilité dans la lutte contre les inégalités et les violences sexistes.

 

Comment ce test fonctionne-t-il ?

Ce test fonctionne pour tout jeu vidéo à scénario aussi connus sous le nom de RPG pour role-playing game. Nous l'avons appliqué à 51 d’entre eux, publiés entre 1991 et 2022. Le scénario du jeu doit répondre positivement à cinq questions pour pouvoir être considéré comme étant égalitaire. Premièrement, y a-t-il autant de personnages féminins que de personnages masculins qui parlent ? Deuxièmement, et c’est une extension qualitative de la 1re question : y a-t-il autant de personnages féminins que de personnages masculins nommés (qui parlent dans le jeu) ? Les séquences se succèdent et permettent aux joueurs de faire leurs choix : la parole est donc clé en termes d’interaction et de progression. Troisièmement : les personnages féminins et masculins ont-ils un temps de parole équivalent dans le jeu ? Car nous pourrions tout à fait être dans un jeu où le nombre d’interlocuteurs et d’interlocutrices est équilibré, mais où ces dernières auraient des textes courts et mineurs – l’équivalent cinématographique est ici évident. Quatrièmement : peut-on incarner autant de personnages féminins que masculins dans le jeu ? Cette question est essentielle puisque toute narration paritaire devrait permettre d’incarner autant de personnages féminins que masculins. Enfin : les métiers et les statuts sont-ils attribués de manière équivalente entre les personnages féminins et masculins dans le jeu ? Ici, l’objectif est de tester si les stéréotypes de genre opèrent pour attribuer des rôles genrés aux personnages selon leur sexe.

 

Comment voyez-vous la suite ?

Beaucoup d’efforts sont encore nécessaires pour sensibiliser l’industrie du jeux vidéo, mais aussi les joueurs, à cette problématique. L’une des clés est sans doute d’avoir la possibilité d’analyser soi même ces titres favoris, tout en permettant aux chercheurs et aux professionnels de suivre ces évolutions. Nous allons mettre en ligne dans les prochains mois un site dans lequel seront présents les 51 jeux analysés, avec les chiffres produits par notre équipe, et les internautes pourront ensuite tester des dizaines d’autres jeux selon ces simples cinq critères évoqués. Ready to play ?

 

La captation vidéo de l'intervention d'Hager Jemel Fornetty aux Assises de la Parité 2023 est disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=DMuMdJCGyzw

 

Références

(1) Assises de la Diversité 2023, "Gaming et parité : 5 questions pour tester la représentation du genre dans les jeux vidéo" (replay, Youtube)

(2) Le gaming à l'épreuve de la parité, étude 2023, Chaire Diversité & Inclusion - Hager Jemel, Laura Lacombe et Guergana Guintcheva (EDHEC)

(3) EDHEC Vox / The Conversation "Les stéréotypes de genre dans la narration des jeux vidéo", nov. 2022.