Lutter contre l'écoblanchiment, en classe et au-delà
Gianfranco Gianfrate, professeur à l'EDHEC et directeur de recherche à l'EDHEC-Risk Climate Impact Institute, souhaite contribuer à l'établissement d'une définition de l'éco-blanchiment (greenwashing), une étape nécessaire pour remporter le combat contre ces pratiques.
- Cette interview a été publiée initialement en anglais dans le magazine EDHEC Vox n°14, “Pioneering Sustainable Finance” (Déc. 2023)
Dès son doctorat en Business and Managerial Economics à l'université Bocconi de Milan, Gianfranco Gianfrate s'est intéressé à la gouvernance d'entreprise, et plus particulièrement à la manière dont les actionnaires majoritaires abusent de leur position dans les entreprises pour épuiser la richesse des parties prenantes, afin de promouvoir leurs propres intérêts (1).
"Ces parties prenantes peuvent être des communautés, des pays et même l'environnement dans son ensemble. Si vous émettez beaucoup de dioxyde de carbone sans payer pour cela, vous volez d'une certaine manière cette ressource à la planète - les problèmes climatiques de ce type sont une cause majeure d'injustices dans le monde entier".
Les incitations pourraient être la clé
Les travaux actuels de Gianfranco Gianfrate portent sur la gouvernance d'entreprise. "Nous savons que lorsque les cadres possèdent des actions de leur entreprise, les performances financières tendent à s'améliorer, mais les performances environnementales tendent à diminuer. Les décideurs qui ont tout à gagner de l'amélioration des performances financières les privilégieront au détriment du développement durable."
Une solution consiste à légiférer pour lier la rémunération aux performances environnementales. Cette quantification des incitations et des coûts environnementaux est un thème récurrent dans ses travaux (2) - et il estime qu'elle est essentielle pour définir et prévenir l'écoblanchiment (greenwashing).
"L'écoblanchiment est un phénomène que nous pensons tous comprendre. Mais nous n'avons pas vraiment de définition. Parfois, il s'agit simplement de prétendre qu'une entreprise est plus verte qu'elle ne l'est, mais il peut aussi s'agir de dissimuler des chiffres ou des faits, ou de permettre à des récits de masquer des activités. Parfois, il s'agit simplement de "faire semblant jusqu'à ce qu'on y arrive" (fake it until you make it), c'est-à-dire de promouvoir des évolutions durables tout en cherchant comment les mettre en œuvre".
Vers une définition de l'écoblanchiment
L'un des obstacles à la définition de l'écoblanchiment est que la plupart des rapports sur les performances environnementales sont volontaires et ne font pas l'objet d'un audit (3). Gianfranco Gianfrate estime qu'il faudra au moins deux décennies pour vaincre les résistances, les lobbyings et les compromis avant qu'un système de reporting adéquat, assorti de sanctions et de punitions, puisse être correctement mis en œuvre.
Pourtant, il est intéressant de noter que les marchés financiers semblent voir clair dans les pratiques ou intentions d'écoblanchiment (4). Les entreprises qui surestiment leurs réussites environnementales ont tendance à être moins bien évaluées, car les investisseurs accordent plus d'attention aux amendes payées pour avoir enfreint la réglementation qu'aux affirmations figurant sur un site web. "Je pense que la clé pour définir l'écoblanchiment est de comparer ce qui est en surface avec ce qui se passe sur le terrain. Si une entreprise qui prétend être verte paie beaucoup d'amendes pour les émissions, c'est de l'écoblanchiment".
Gianfranco Gianfrate estime que l'évolution vers la quantification de l'impact environnemental au cours de la prochaine décennie conduira à un changement fondamental. "Une fois que ces chiffres pourront être simplement ajoutés aux flux de trésorerie et aux rapports d'une entreprise, le besoin de financement durable - et donc l'écoblanchiment - disparaîtra. Lorsque les entreprises devront payer pour l'ensemble de leurs ressources et de leurs externalités, tout le monde pourra le voir. Il sera beaucoup plus difficile pour les entreprises de mentir".
Références
(1) What Do Shareholders’ Coalitions Really Want? Evidence from Italian voting trusts (2007); Shareholders’ coalitions and control contestability: The case of Italian voting trust agreements (2007); Partnership versus corporation: Untangling the governance dilemma of corporate venture capital (2008)
(2) Carbon Risks and Corporate Valuation (2016); Cost of capital and sustainability: a literature review (2018); Market-pull policies to promote renewable energy: A quantitative assessment of tendering implementation (2020)
(3) The Agency of Greenwashing (2020)
(4) The green advantage: Exploring the convenience of issuing green bonds (2018); Do the Shades of Green Matter? The Pricing and Ownership of 'Darkgreen' Bonds (2021); What’s in a shade? The market relevance of green bonds’ external reviews (2023)
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