Qu’apportent les sciences de gestion au décideur politique ?
Philippe Very, Professeur de stratégie, Sciences de Gestion,, EDHEC Business School et Olivier Basso, Professeur associé, Sciences de Gestion, , Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) traitent dans un article initialement publié sur The conversation des relations nombreuses et riches entre les sciences de gestion et les décideurs politiques.
Interactions privé-public
Le premier type de lien, certainement le plus connu, réside dans les interactions entre privé et public. Des structures formelles de coopération sont élaborées dans le cadre de partenariat privé-public. Ces structures ne sont pas toujours équitables en matière de coûts supportés. Lorsqu’un stade de football est construit et exploité par une telle structure, puis que l’équipe sportive résidente perd sa place dans l’élite professionnelle, c’est parfois la municipalité, et donc la collectivité, qui supporte la plupart des coûts inhérents à cet événement. De tels montages méritent donc d’être élaborés avec soin pour partager les risques.
Une autre forme d’interaction, souvent moins formelle, est la pratique du lobbying par les organisations privées pour influencer la décision publique. Si le lobbying est largement décrié, il est pourtant nécessaire que le décideur politique ait recours à des expertises pour pouvoir statuer. L’interaction est donc incontournable, la difficulté résidant dans la préservation de l’intérêt général plutôt que les intérêts particuliers.
Au-delà de ces interactions, d’autres liens existent comme les échanges du privé vers le public : des dispositifs et méthodes de gestion, développés dans le champ des organisations privées, sont transférés dans les administrations publiques, influençant ainsi la décision politique. Par exemple les méthodes comptables de consolidation pour les collectivités territoriales ou la nouvelle comptabilité d’État dérivée de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Ces transferts créent parfois plus de problèmes qu’ils n’apportent de réponse aux besoins des collectivités et décideurs. Notamment le nouveau bilan comptable national, qui conduit à une sous-estimation des actifs possédés, peut avoir des conséquences fortes en matière de décision.
La gestion des parties prenantes
A l’inverse, certains dispositifs de gestion de la sphère privée pourraient être utiles au décideur politique. Par exemple quand celui-ci doit structurer et réguler la nouvelle industrie des véhicules électriques, où de nombreuses parties prenantes lui font des injonctions contradictoires. Les entreprises disposent de méthodes pour gérer ces parties prenantes. Ou encore pour améliorer le processus d’évaluation des politiques publiques, où les apports de la gestion restent mineurs. L’homme politique pourrait donc s’emparer davantage des méthodes de gestion, mais en les choisissant à bon escient.
Enfin, le troisième type de lien prend la forme d’une évolution conjointe entre public et privé. Il répond à la question : quelle entreprise pour quelle société future ? Les entreprises peuvent être acteurs d’un projet sociétal porté par les hommes politiques. Par exemple, le développement de la RSE – Responsabilité Sociale et Environnementale – au sein des entreprises pourrait contribuer à atteindre les objectifs d’un développement durable énoncés par l’ONU. Autre exemple, la démocratisation de l’entreprise, avec une participation accrue des salariés, pourrait contribuer à déployer un projet de société fondé sur la justice sociale plutôt que l’utilitarisme. Dans la même veine, puisque l’entreprise est un espace de création collective, ce sont aussi ses statuts qui devraient évoluer en fonction du projet de société.
Au centre, l'étude des organisations
Les liens sont donc multiples et riches. Ils montrent le besoin d’articuler les rôles et actions des parties, chacune gardant ses prérogatives et son champ d’action. Ils soulignent l’apport des sciences de gestion à la décision politique, à travers leurs théories et méthodes, à travers leurs objets d’étude : les organisations. Entreprises, ONG, associations sont acteurs de la construction de l’ordre mondial, national, régional.
Ce pouvoir de nature extra-économique trouve une faible légitimation dans la seule doctrine de la souveraineté de l’actionnaire et appelle à un examen minutieux. Par-delà ces réflexions sur l’évolution de la société ou l’aide au décideur politique, les travaux présentés dans la Revue Française de Gestion invitent dirigeants d’entreprise et chercheurs à s’intéresser aux philosophies politiques pour éclairer leurs logiques d’action et d’investigation.
Cet article est publié dans le cadre du partenariat avec la Revue française de gestion.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image sur freepik.