Risques liés à la transition climatique et portefeuilles d'actions : évaluer les (potentielles) pertes financières à partir de différents scénarios
Les chercheurs de Scientific Portfolio (an EDHEC Venture) - Vincent Bouchet, Thomas Lorans et Julien Priol - examinent dans leur dernière étude (1), les implications financières des risques liés à la transition climatique pour les portefeuilles d'actions.
Dans leur dernière publication (1), les chercheurs Vincent Bouchet, Thomas Lorans et Julien Priol de Scientific Portfolio (an EDHEC Venture) s'intéressent aux implications financières, pour les portefeuilles d'actions, des risques liés à la transition climatique.
À l'aide d'un modèle qui combine, à l'échelle de l'entreprise, les données sur les revenus et les émissions de gaz à effet de serre des entreprises à des scénarios de transition à long terme, cette étude met en évidence la manière dont les changements dans les politiques conduites, les innovations technologiques et les évolutions de la demande liés à la transition énergétique peuvent affecter la valorisation des portefeuilles.
Quels sont les principaux facteurs financiers qui influencent les risques liés à la transition climatique ?
Les risques climatiques peuvent être classés en risques physiques et risques de transition.
Les risques physiques découlent des effets directs du changement climatique, tels que la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, l'élévation du niveau de la mer et les vagues de chaleur prolongées, qui peuvent tous perturber l'activité économique et endommager les actifs.
Pour atténuer ces risques, une transition rapide vers une économie à faible intensité de carbone est nécessaire. Cependant, cette transition énergétique introduit de nouveaux risques financiers, appelés risques de transition climatique, qui découlent des changements politiques, technologiques et commerciaux nécessaires pour atteindre les objectifs d'atténuation du changement climatique.
Par exemple, l'introduction de taxes sur le carbone augmente le coût des émissions de gaz à effet de serre, ce qui entraîne une hausse des dépenses d'exploitation des entreprises à forte intensité carbone. Ces coûts plus élevés peuvent comprimer les marges bénéficiaires, réduire les flux de trésorerie futurs attendus et, en fin de compte, conduire à une révision à la baisse de leur valorisation boursière. En conséquence, la valeur des portefeuilles d'actions fortement exposés à ces entreprises peut baisser, reflétant l'érosion anticipée de la valeur actionnariale.
De même, l'évolution des préférences des consommateurs et les incitations réglementaires ont une incidence sur la demande de biens à faible intensité carbone, tels que les véhicules électriques.
Les entreprises qui ne parviennent pas à s'adapter à cette évolution du marché risquent de subir des pertes de revenus en raison de la baisse des ventes de leurs produits traditionnels. Cela peut avoir un impact négatif sur la valorisation des entreprises et, par extension, réduire la valeur de marché des portefeuilles investis dans ces entreprises "sous-performantes".
Analyse de scénarios à long terme
Les risques liés à la transition climatique posent des défis importants pour les portefeuilles d'actions, qui peuvent contenir des titres d'entreprises susceptibles de bénéficier des ou de subir les effets négatifs de la transition énergétique (2). Les tests de résistance climatique existants se concentrent souvent uniquement sur l'impact de la tarification du carbone sur les coûts d'exploitation (3), négligeant les fluctuations de revenus causées par les changements de la demande. La présente étude comble cette lacune en intégrant dans son analyse les revenus « verts » et « bruns » spécifiques à chaque entreprise.
Les chercheurs visent à analyser l'impact sur les prix d'un changement brutal des anticipations des investisseurs concernant la transition économique future. Compte tenu du degré élevé d'incertitude qui entoure la transition énergétique, ils procèdent à une analyse de scénarios à long terme, en s'appuyant sur des scénarios élaborés par un consortium international de banques centrales et d'autorités de régulation financière (4).
En analysant un portefeuille d'actions comprenant les 1287 plus grandes sociétés cotées en bourse (similaire à l'indice MSCI World) dans des scénarios de transition climatique défavorables, cette étude offre un éclairage nouveau sur les principaux facteurs de risque de transition. Comment les risques de transition influencent-ils les revenus et les dépenses d'exploitation des entreprises ? Comment différentes voies de transition pourraient-elles influencer la valorisation des portefeuilles d'actions ?
L'impact sur les revenus dépasse celui lié aux dépenses d'exploitation
La littérature financière existante sur les risques de transition a principalement mis l'accent sur l'impact potentiel de la hausse des prix du carbone sur les coûts d'exploitation des entreprises, et les effets qui en découlent sur la valorisation des entreprises et la performance des portefeuilles d'actions (5).
Cependant, cette étude révèle que l'impact financier du transfert de la demande vers des biens et services à faible intensité carbone, qui se traduit par une baisse des revenus des entreprises incapables de s'adapter, dépasse souvent les pertes liées à l'augmentation des dépenses d'exploitation due à la hausse des prix du carbone.
En moyenne, les secteurs sensibles à la transition, tels que les services publics et l'énergie, affichent des pertes potentielles importantes dans le scénario « zéro émission nette en 2050 », avec des pertes totales atteignant 58 % pour les services publics et 33 % pour l'énergie, principalement en raison des évolutions de la demande.
"Activités vertes" vs "activités brunes"
Dans les secteurs fortement exposés aux risques liés à la transition, c'est-à-dire ceux qui se caractérisent par des émissions directes ou indirectes importantes de gaz à effet de serre, tels que l'extraction de combustibles fossiles, la production d'électricité, les transports et l'industrie lourde, la vulnérabilité des entreprises est très hétérogène. Cette variabilité reflète les différences en matière d'intensité des émissions, de maturité technologique et de positionnement stratégique par rapport à la transition vers une économie à faible intensité de carbone.
Par exemple, dans un scénario aligné sur l'objectif "net zero emissions" (en 2050), certaines entreprises du secteur de l'énergie utilisant des combustibles fossiles pourraient subir des pertes allant jusqu'à 57 %, tandis que d'autres, telles que les producteurs d'électricité à faible intensité carbone, pourraient enregistrer des gains allant jusqu'à 85 %. Cela met en évidence la présence de « gagnants » et de « perdants » au sein de chaque secteur, en fonction de leur exposition à des activités à faible intensité carbone ("vertes") ou à forte intensité carbone ("brunes").
Ces résultats indiquent que les gestionnaires de portefeuilles d'actions ne peuvent pas intégrer efficacement les risques liés à la transition en mesurant uniquement leur exposition aux secteurs sensibles au climat. Ils doivent plutôt adopter une approche plus granulaire afin d'identifier, au sein de ces secteurs, les actions susceptibles de bénéficier ou de souffrir de la transition énergétique.
Quelle sensibilité aux scénarios possibles ?
Cette étude souligne également que le choix du scénario de transition utilisé pour mener l'analyse est la principale source de variabilité des pertes de transition conditionnelles. Par exemple, pour le secteur des services publics, les pertes globales pourraient atteindre 58 % dans un scénario de zéro émission nette, mais seulement 22 % dans un scénario de transition différée.
Malgré ces différences significatives, l'analyse de plusieurs scénarios permet d'obtenir une estimation fiable de la fourchette potentielle des pertes pour les portefeuilles d'actions. Le choix des scénarios de transition doit avant tout refléter leur probabilité, telle qu'elle ressort des engagements et des mesures actuels des gouvernements, des entreprises et des consommateurs.
Toutefois, du point de vue de la gestion des risques, il reste pertinent d'envisager des scénarios extrêmes mais plausibles afin d'évaluer l'exposition aux risques extrêmes et de garantir la résilience du portefeuille dans le cas de scénarios de transition défavorables.
Perspectives : combler le fossé entre les différents modèles
Les conclusions des auteurs soulignent les limites d'une évaluation des risques liés à la transition fondée uniquement sur des indicateurs d'intensité carbone. À l'inverse, des modèles prospectifs associés à des scénarios à long terme intégrant les évolutions des revenus offrent une vision plus complète.
Cette étude ouvre la voie à la combinaison d'une analyse prospective des scénarios et de modèles financiers rétrospectifs. Des recherches futures pourraient explorer le développement de facteurs de risque de transition spécifiques qui vont au-delà de la dimension traditionnelle de la tarification du carbone.
Références
(1) Beyond Carbon Price: a Scenario-Based Quantification of Portfolio Financial Loss from Climate Transition Risks (2025). T. Lorans, J. Priol, V. Bouchet. Scientific Portfolio (and EDHEC Venture) - https://scientificportfolio.com/knowledge-center/?file=2025-01-beyond-carbon-price-scenario-based-loss-climate-transition-risks.pdf
(2) Basel Committee. (2021). Climate-related risk drivers and their transmission channels. Bank for International Settlements - https://www.bis.org/bcbs/publ/d517.htm
(3) Reinders, H. J., Schoenmaker, D., & Van Dijk, M. (2023). A finance approach to climate stress testing. Journal of International Money and Finance, 131, 102797 - https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261560622002005
(4) Network for Greening the Financial System (NGFS) scenarios. More information available at: https://www.ngfs.net/ngfs-scenarios-portal
(5) See for example Barker, R., Raychaudhuri, M., Schaffer, A., Gayer, M., & Al, E. (2015). Stress-Testing Equity Portfolios for Climate Change Impacts. BNP Paribas.