3 questions à Loïck Menvielle sur le Baromètre 2024 de la santé connectée
Le 2e baromètre « Perception des Français sur la santé connectée » (avril 2024) (1) montre un recul de l’utilisation des objets connectés de santé auprès des Français. Pourquoi cette baisse de confiance ? Comment la restaurer ? Loick Menvielle, professeur à l’EDHEC et directeur de la chaire Management in Innovative Health (Bristol Myers Squibb, EDHEC), revient sur les principaux enseignements de cette enquête.
Quelles évolutions retenez-vous (2) de ce baromètre 2024 de la santé connectée, par rapport au premier volet publié fin 2022 (3) ?
Cette deuxième vague de l’enquête montre une évolution prudente des perceptions et des usages des outils de santé connectée. On parle ici des plateformes en ligne de prise de rendez-vous médical et des applications de suivi de santé.
Sur un an, la confiance vis-à-vis de ces services en ligne est en baisse et se traduit par un net recul de leur utilisation. Seuls 21% des Français interrogés se disent prêts à utiliser toutes les solutions existantes en termes de santé connectée (-9 points par rapport à fin 2022). Ils ne sont plus que 69% à accepter d’utiliser davantage la santé connectée en général. En recul de 7 points !
Cette tendance s’observe aussi chez les personnes atteintes de maladies chroniques. Elles utilisent peu les outils de santé connectée dans le suivi et la gestion de leur maladie (24%), en baisse de 8 points par rapport à la précédente vague.
Les Français questionnent aussi la légitimité des acteurs en matière de santé connectée. Ils ne sont plus que 52% des Français (-15 pts) à considérer que c’est aux hôpitaux publics de proposer des services thérapeutiques numériques, et 41% (-13 pts) aux services de santé privés.
Enfin, la volonté des Français de conserver une santé « humanisée » se confirme. Ils restent une majorité à se fier à leur médecin seul, mais 4 sur 10 sont désormais prêts à faire confiance au couple médecin/intelligence artificielle, que ce soit pour le diagnostic ou le traitement des maladies.
Comment expliquer cette réticence accrue à l’égard de la santé connectée, en un peu plus d’un an ?
Signalons d’abord que la plupart des Français a déjà utilisé des outils de santé connectée pour prendre rendez-vous en ligne avec un médecin, et plus de la moitié déclare avoir déjà utilisé une application de suivi de santé. Pourtant, il reste beaucoup à faire pour démocratiser ces services auprès du plus grand nombre et réduire les disparités d’utilisation entre les patients.
69% des personnes interrogées ne se sentent pas bien informées sur la santé connectée, en augmentation de 5 points par rapport à 2022. Sans surprise, les diplômés âgés de 18 à 34 qui habitent en ville se disent les mieux informés et les plus ouverts à l’utilisation de ces solutions. A l’inverse, les « exclus du digital » sont plutôt âgés, habitent en milieu rural et sont moins diplômés. Ces derniers sont aussi ceux qui ont le plus de difficultés à accéder à un médecin.
Autre motif de réticence à utiliser les outils de santé connectée : les craintes sur la sécurité et la fiabilité des données. Elles sont aussi en augmentation par rapport à la première vague du baromètre.
42% des répondants expriment ainsi des doutes quant à la sécurité et au détournement des données personnelles de santé qui sont collectées, contre 36% fin 2022. La majorité des Français consultés n’est pas en confiance pour partager ses données personnelles en dehors de leur médecin traitant (85% versus 84% fin 2022). Les hôpitaux publics (65%), l’assurance maladie (62%), les hôpitaux privés (51%) et les organismes de recherche clinique restent loin derrière. Les cyberattaques contre différents groupes hospitaliers en 2023 ainsi que la fuite des données de la Sécurité Sociale début 2024 n’y sont peut-être pas étrangères.
L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé est accueillie avec un mélange de méfiance et d’espoir. Comment cela se traduit-il ?
Tout dépend de quoi l’on parle. Pour beaucoup de Français, l’Intelligence Artificielle (IA) reste une inconnue dont ils ont tendance à se méfier (note de confiance moyenne de 4,6/10). Leur perception des bénéfices offerts par les services thérapeutiques numériques (big data, IA…) pour la santé personnalisée est mitigée.
Là encore, les patients restent une nette majorité à faire confiance à leur médecin seul pour le diagnostic (58%) et le traitement des pathologies (60%). Toutefois, ils sont de plus en plus nombreux à envisager l’IA générative, autrement dit les programmes entraînés pour dialoguer avec l’utilisateur comme ChatGPT, en tant qu’outil permettant de valider l’expertise humaine. L’IA suscite en effet de la curiosité chez près de la moitié des Français (47%), et une courte majorité d’entre eux (55%) pense que leur utilisation est bénéfique, en particulier les 18-34 ans et les CSP+.
C’est en matière de prévention des pathologies que l’utilisation de l’IA est perçue comme la plus digne de confiance par les patients. Deux tiers des Français interrogés changeraient même leur mode de vie sur les conseils de santé personnalisés d’une IA si celle-ci pouvait prédire avec précision une maladie avant qu’elle ne survienne ! Une majorité fait confiance à l’intelligence artificielle pour accélérer le diagnostic des maladies graves (57%) et améliorer la qualité des soins (59%).
Ces éléments montrent qu’il faut améliorer l'information et la pédagogie autour de ces technologies, afin de renforcer la confiance des utilisateurs et favoriser une adoption plus large !
Références
(1) Enquête IPSOS réalisée en février 2024 auprès de 1000 Français de 18 à 74 ans - https://www.edhec.edu/sites/default/files/2024-04/2024-04-deuxieme-barometre-sante-connectee-bms-edhec-ipsos.pdf
(2) Communiqué de presse, avril 2024 "Baromètre EDHEC x BMS - Santé connectée : un recul de l’utilisation et une confiance en demi-teinte" - https://www.edhec.edu/sites/default/files/communiques-presse/CP_Barometre_Sante_Connectee_BMS_EDHEC.pdf
(3) (Re)Découvrez les résultats du 1er baromètre de la santé connectée : https://www.edhec.edu/fr/news/decouvrez-resultats-1er-barometre-sante-connectee-bms-edhec-ipsos