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Investissements dans les infrastructures d’énergie verte : une (sur)performance amenée à durer ?

Frédéric Blanc-Brude , EDHECinfra Director
Noël Amenc , Associate Professor of Finance

Frédéric Blanc-Brude, directeur d'EDHECinfra, et Noël Amenc, professeur associé de Finance à l'EDHEC, analysent, dans un article publié sur The Conversation, le rendement financier des infrastructures d'énergies vertes comparativement à celles d'énergies fossiles.

Temps de lecture :
9 nov 2022
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L’été que nous venons de passer est la confirmation que les effets du réchauffement climatique sont plus forts et plus rapides qu’escomptés. Pour espérer les endiguer, le passage de notre mode actuel de production et de consommation à un modèle plus responsable est essentiel. Or, ce changement de paradigme nécessite de grands investissements, notamment dans la transition énergétique. La Commission européenne estime ainsi qu’entre 2021 et 2030, le secteur énergétique au niveau européen aura besoin de 175 milliards d’euros par an minimum pour le développement des énergies vertes (solaire, éolien, etc.) et des infrastructures nécessaires.

Mais d’un point de vue strictement financier, le rendement est-il au rendez-vous pour les investisseurs ? Les énergies vertes, qui représentent le futur, bénéficient-elles d’une meilleure performance financière, comparativement aux énergies fossiles qui sont vouées à disparaître ?

Dans nos récents travaux, nous avons étudié pendant 10 ans (2011-2021) les rendements attendus et la performance effective des infrastructures d’énergie verte, comparée à celle des infrastructures d’énergies fossiles. Cette question du retour sur investissement demeure essentielle, car les investissements dans les projets d’énergie éolienne et solaire représentent actuellement entre un quart et un tiers de l’ensemble des investissements alloués aux infrastructures. Ils sont, en outre, amenés à se développer de plus en plus.

Une préférence des investisseurs

L’un des arguments en faveur de l’investissement durable est que celui-ci génère de meilleurs rendements, comparé à l’investissement classique (lequel finance, entre autres, les énergies fossiles). Cet axiome se vérifie-t-il sur le terrain ?

En 2011, les projets de production d’énergie verte (ici, les énergies éolienne et solaire) avaient un rendement attendu de 8 %, contre 9 % pour les projets de production d’énergie fossile. Leurs rendements totaux annualisés sur 10 ans s’élevaient respectivement à 16 % et 17 % en 2021. Ces deux chiffres peuvent paraître similaires, mais ils correspondent à deux réalités économiques différentes.

Ainsi, notre étude montre qu’il existe bel et bien des preuves d’une surperformance des investissements dans les infrastructures vertes (définies comme les projets d’énergie éolienne et d’énergie solaire). Cette surperformance, qui se définit par des bénéfices plus élevés que ceux des actifs classiques, est en effet due à l’évolution des préférences des investisseurs pour les projets « verts ». Soit une demande excédentaire pour ce type d’investissement, imputable notamment à la sensibilité grandissante du public pour les enjeux de transition énergétique, et qui explique les meilleures performances des actifs responsables comparées aux actifs classiques.

Un changement de paradigme ?

Au cours de la dernière décennie, les investisseurs se sont montrés de plus en plus intéressés par le secteur des énergies renouvelables. Au premier semestre 2022, les investissements verts ont totalisé 226 milliards de dollars, soit une hausse de 11 % sur un an, selon un rapport de BloombergNEF publié en août dernier. Les investissements dans les projets solaires ont notamment atteint 120 milliards (+33 %) et les projets dans l’éolien 84 milliards (+16 %).

Dans une enquête menée en 2022 sur environ 350 portefeuilles d’actifs, EDHECinfra a constaté que les énergies renouvelables représentaient entre un quart et un tiers des investissements, mais aussi que les énergies fossiles (gaz et charbon) ne représentent que 1 à 3 % des portefeuilles, avec une exception notable pour les investisseurs nord-américains.

Il faut dire que les projets mettant à l’honneur les énergies fossiles sont, en plus de leur relative impopularité, soumis aux taxes environnementales – telles que la taxe carbone en France. On assiste, de plus, à ce qui pourrait bien constituer un point de bascule. En effet, en 2020, l’investissement dans les énergies renouvelables a dépassé les 500 milliards de dollars, contre 400 milliards pour la production de gaz et de pétrole. De fait, la valeur des actifs dits « traditionnels » s’en ressent.

Engouement passager ou durable ?

On observe que, sur la dernière décennie, les investissements dans les énergies fossiles ont été délaissés par les investisseurs traditionnels, tandis que les actifs verts ont été largement intégrés dans les portefeuilles d’investissement. Cela est particulièrement visible sur la période 2012-2015, pendant laquelle les actifs verts ont aussi mieux performé (ou performé de manière équivalente) que les actifs classiques.

Cette performance des actifs verts s’explique notamment par un changement de perception du risque (l’investissement responsable tend à se normaliser, voire à gagner en désirabilité), tandis que la performance des actifs classiques reste moins le résultat d’un fort engouement que de leur rendement ajusté du risque.

Cependant, ces rendements temporairement plus élevés pour les investissements verts ne préjugent pas des performances futures. Selon nos observations, ce phénomène de forte demande accompagné d’une augmentation de la valeur des actifs verts a atteint son apogée en 2019. À l’heure actuelle, les rendements attendus de ce type d’investissement sont beaucoup plus faibles.

Cela signifie notamment que les rendements des projets d’énergie verte ne doivent pas être perçus comme un indicateur de leur performance future. Car, plus la demande pour les actifs verts est satisfaite par des investissements supplémentaires, moins les rendements attendus sont élevés. En effet, l’offre et la demande finissent par converger, ce qui permet de « corriger » la surperformance des actifs verts.

Il n’existe donc pas de réelle prime de risque pour les projets d’infrastructures vertes, dont les investisseurs pourraient bénéficier sur le long terme. En réalité, il faudrait plutôt parler d’une « prime verte », que les investisseurs ont été prêts à payer à un instant T, au moment où les actifs responsables ont gagné en popularité. La surperformance constatée des actifs verts sur la décennie précédente provient uniquement d’une demande excédentaire, qui a fini par diminuer.

Autrement dit, lorsque l’offre a fini par rejoindre la demande, les actifs verts ont accusé une baisse de performance, conséquence d’un équilibre retrouvé sur les marchés. La prime verte est une réalité, mais elle n’avait vocation qu’à être temporaire. Il faut donc plutôt considérer la décennie précédente comme une période de transition, et non comme l’avènement d’un phénomène pérenne.

Cet article de Frédéric Blanc-Brude, Directeur de l'EDHEC Infrastructure Institute et Noël Amenc, Professeur associé de Finance à l'EDHEC, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Photo by Sander Weeteling on Unsplash

The Conversation