Le cancer peut-il conduire à la criminalité ?
Une nouvelle étude menée par deux professeurs de l'EDHEC - Kim Peijnenburg et Gianpaolo Parise - et leur coauteur (Steffen Andersen, CBS) révèle un moteur de la criminalité jusqu'alors insoupçonné : les chocs de santé, en particulier le cancer, sont au cœur d'une évolution de la démographie criminelle. La part des crimes commis par des adultes âgés étant en hausse dans les pays développés, ils ont examiné de près un ensemble de données danoises pour en savoir plus et proposer des pistes pour atténuer ce phénomène.
- Cet article a été initialement publié en anglais dans EDHEC Vox #13 (sept. 2022)
La criminalité est généralement associée aux jeunes adultes, mais au cours des dernières décennies, le nombre de crimes commis par des adultes plus âgés a augmenté de manière disproportionnée. "Jusqu'à présent, la littérature sur l'économie de la criminalité a surtout mis l'accent sur des facteurs tels que l'éducation, le milieu familial et les possibilités offertes sur le marché du travail", explique Kim Peijnenburg, professeur à l'EDHEC. "Cependant, la part croissante de crimes commis par des adultes plus âgés, souvent avec un casier judiciaire précédemment vierge, appelle à une meilleure compréhension des déterminants de ces tranches d'âges plus avancés."
Dans une étude publiée en 2021 (Centre For Economic Policy Research) et intitulée "Breaking Bad : The effects of health shocks on crime", les professeurs Steffen Andersen (Copenhagen Business School), Gianpaolo Parise et Kim Peijnenburg (EDHEC Business School), ont exploré l'impact des chocs sanitaires sur l'activité criminelle via une large base de données couvrant l'ensemble de la population danoise. "Le contexte danois nous a fourni un terrain d'essai idéal pour mener cette analyse", commente Gianpaolo Parise. "La couverture universelle des soins de santé et des coûts du cancer dans le pays exclut d'emblée l'hypothèse selon laquelle une personne est poussée vers des activités criminelles en raison d'une faillite personnelle. Nous nous sommes concentrés sur la manière dont les changements dans les attentes concernant les flux de revenus futurs et l'espérance de vie modifient l'incitation économique à commettre un crime."
Les trois chercheurs ont d'abord établi le lien indéniable entre cancer et criminalité, avec une augmentation de 13% de la probabilité de commettre un délit suite à un diagnostic de cancer et une intensification de cette tendance au cours des dix premières années de vie avec la maladie. "Pour identifier une relation d'effet causal, nous avons comparé chaque année la probabilité d'enfreindre la loi pour les personnes diagnostiquées d'un cancer avec celle d'individus similaires (même sexe, même âge et même année d'observation) qui ne sont pas encore diagnostiqués d'un cancer mais qui le seront dans le futur", décompose Kim Peijnenburg.
Passons maintenant à la grande question : pourquoi ? Selon les théories éprouvées de la criminalité, la décision de commettre un crime dépend principalement de trois facteurs : la différence entre la rémunération des activités légales et illégales, la probabilité perçue de la punition et l'attitude personnelle face au risque. "Comme les chocs sanitaires affectent chacune de ces dimensions, nous les avons considérées une à une", explique Gianpaolo Parise. Les chercheurs ont ainsi mis en lumière des preuves d'un motif économique : les personnes qui connaissent une baisse de revenus après un cancer ont tendance à se tourner vers des activités illégales, les crimes qui suivent un diagnostic de cancer étant principalement de nature économique (par exemple, vol, fraude, trafic). Ils ont également identifié des corrélations entre le cancer, la sanction et le risque : les personnes pour lesquelles le cancer induit une plus grande diminution des probabilités de survie - et qui sont donc moins susceptibles d'être sanctionnées pour leurs infractions pénales - sont plus susceptibles d'enfreindre la loi.
Les chercheurs ont également examiné de près les effets des politiques de protection sociale et ont constaté que, lorsqu'elles sont bien menées, elles peuvent atténuer l'externalité négative induite par les chocs sanitaires. "Une diminution de la générosité de la sécurité sociale provoque une augmentation de la sensibilité de la criminalité aux chocs sanitaires", résume Gianpaolo Parise. "Les individus qui subissent une forte réduction des subventions économiques après une réforme, augmentent leur taux de criminalité d'environ deux fois plus après un diagnostic de cancer." Des leçons essentielles dans le contexte de la crise sanitaire de Covid, comme le conclut Kim Peijnenburg : "Alors que les gens sont laissés à eux-mêmes pour faire face aux effets du virus et que l'aide sociale expire, les segments les plus vulnérables de la population peuvent se trouver attirés par des activités illégales si le soutien social n'est pas (suffisamment) en place."