Louer ses vêtements plutôt que les acheter serait meilleur pour la planète ? À l’heure où l’industrie textile est pointée du doigt pour son impact environnemental, des services de location de vêtements promettent aux consommateurs de renouveler constamment leur garde-robe tout en réduisant leur empreinte carbone. Mais cette solution est-elle vraiment aussi écoresponsable qu’elle en a l’air ?
C’est la question que pose notre récent travail de recherche. Nous avons choisi d’examiner les effets cachés des comportements des consommateurs qui utilisent ces services d’économie collaborative basés sur l’accès aux biens (access-based services, ou ABS), et non sur leur possession.
Gare à l’effet rebond
Nos études qualitative et quantitative mettent ainsi en lumière une réalité surprenante : la location de vêtements, loin de toujours réduire l’empreinte écologique, peut en réalité encourager une consommation accrue chez certains types de consommateurs ! En cause ? L’effet rebond, un phénomène qui se produit lorsque les gains environnementaux attendus sont réduits, annulés, voire inversés, par des comportements compensatoires des consommateurs.
Ces enjeux s’inscrivent dans un débat plus large sur les limites des solutions perçues comme écologiques et sur la manière dont consommateurs et entreprises peuvent réagir afin d’éviter les pièges d’une surconsommation qui ne dit pas son nom.
Les services basés sur l’accès reposent sur une idée simple : au lieu de posséder un bien, le consommateur en profite temporairement en échange du paiement d’une contribution monétaire. La possession n’est plus un impératif. Ce changement de paradigme a été rendu possible par la montée en puissance des plates-formes numériques dans les transports (Uber), l’hébergement de loisir (Airbnb), l’électroménager, et plus récemment, la mode.
Une flexibilité plébiscitée
La location de vêtements, autrefois réservée à des occasions spéciales comme les mariages ou les galas, est désormais accessible pour le quotidien. Des plates-formes comme Le Closet ou Coucou permettent aux consommateurs de louer des vêtements de marque pour quelques jours ou quelques semaines, avant de les retourner pour en louer de nouveaux.
Les consommateurs apprécient particulièrement la flexibilité et la variété qu’offrent ces services. Ils peuvent ainsi suivre les tendances de la mode sans s’engager à long terme, tout en participant à un modèle de consommation présenté comme plus responsable. La production textile est en effet l’une des industries les plus polluantes, en particulier depuis l’avènement de la fast fashion. En principe, s’abonner à un service de location de vêtements devrait avoir pour résultat non seulement de limiter la quantité de vêtements produits, mais aussi d’en prolonger la durée de vie en les proposant à plusieurs utilisateurs successifs.
Quand le remède devient poison
En interrogeant 31 utilisateurs de plates-formes franco-belges de location de vêtements, nous avons identifié divers effets rebond qui « détricotent » l’idée selon laquelle il est nécessairement plus durable de louer ses vêtements plutôt que de les acheter.
Les effets rebond se produisent lorsque des gains d’efficacité ou des pratiques censées être durables, comme la location de vêtements, mènent paradoxalement à une augmentation de la consommation.
L’accès facilité, la variété et le faible coût des vêtements loués peuvent encourager une utilisation plus fréquente du service, voire des achats impulsifs de vêtements (certains achètent même les vêtements qu’ils ont loués !), ce qui peut annuler les bénéfices environnementaux attendus de la location par rapport à l’achat (effet rebond direct).
D’autre part, une personne qui économise de l’argent en louant des vêtements peut utiliser ces fonds pour acheter d’autres biens ou services dans d’autres catégories de produits (produits high-tech, voyages, équipements pour la maison, etc.), augmentant ainsi sa consommation totale et son empreinte écologique.
Il est crucial de comprendre que ces effets ne sont pas homogènes et varient selon les groupes de consommateurs et leurs motivations psychologiques. C’est ce que montre notre étude quantitative réalisée auprès de 499 utilisateurs.
Le rebond n’est pas le même pour tous
Ainsi, l’étude révèle deux groupes, parmi les cinq identifiés lors de l’analyse, représentant environ un quart des utilisateurs de services de location de vêtements, qui sont particulièrement enclins à présenter des effets rebond négatifs.
Le groupe des « chercheurs de stimulation et de plaisir » (7 %) est caractérisé par une forte recherche de stimulation et des motivations hédonistes et est principalement composé d’hommes. Pour eux, la location de vêtements ne diminue pas leur consommation globale, mais au contraire, elle peut l’accroître en stimulant leur désir de nouveauté et de diversité.
Le groupe des « jeunes urbains apathiques » (18 %) présente des comportements paradoxaux : bien qu’ils ne soient pas particulièrement motivés par le plaisir ou la stimulation, et diminuent leur consommation de vêtements grâce à la location, ils augmentent leurs achats dans d’autres catégories de produits après avoir loué des vêtements. Ils sont également les moins frugaux, ce qui renforce leur propension à des comportements de rebond indirects. Ce sont plutôt des jeunes hommes urbains, souvent célibataires et hautement éduqués. Ces résultats soulignent la nécessité d’aborder la diversité des comportements de consommation au sein de l’économie du partage, et d’adapter les stratégies pour chaque groupe de consommateurs.
D’autres pistes pour la mode responsable
Bien que les services basés sur l’accès aient le potentiel de motiver des habitudes de consommation plus durables, ils peuvent aussi encourager des comportements qui annulent ces bénéfices, voire pire… Cette découverte remet donc en question l’idée selon laquelle la location de vêtement est toujours synonyme de durabilité.
Quelles pistes pour une mode plus responsable ? Alors que les services basés sur l’accès gagnent en popularité, il devient crucial de comprendre comment maximiser leur potentiel écologique tout en minimisant les effets rebond indésirables. Dans ce but, les entreprises comme les consommateurs doivent sans doute repenser leur approche.
Les implications pour les managers et les décideurs politiques sont claires : il ne suffit pas de promouvoir la location de vêtements comme une solution durable. Environ un quart des utilisateurs de services de location de vêtements étant susceptibles de présenter des comportements de rebond négatifs, il est essentiel d’identifier ces consommateurs et de leur fournir des informations et des incitations adaptées pour limiter ces effets.
Trouver d’autres incitations
Les stratégies de communication des entreprises de location doivent être différenciées en fonction des segments de consommateurs. Pour les personnes en quête de stimulation et de plaisir, des incitations de type hédonique non liées aux vêtements loués, telles que des concours, jeux, récompenses ou cadeaux peuvent être efficaces. Pour les consommateurs apathiques, des rappels sur les conséquences négatives de leurs comportements peuvent les amener à réfléchir davantage à leurs choix.
Les entreprises doivent veiller à ne pas seulement mettre en avant les aspects hédoniques intrinsèquement liés la location de vêtements, car cela peut involontairement renforcer les effets rebond négatifs. Au lieu de cela, elles pourraient mettre l’accent sur les avantages écologiques et encourager la co-création de valeur avec les consommateurs pour répondre à leurs besoins tout en réduisant l’impact environnemental.
Les services de location de vêtements pourraient ainsi encourager la location à long terme, plus responsable, de produits éco-conçus par des marques qui partagent les mêmes valeurs écologiques. Au lieu de promouvoir la rotation rapide des articles, ils pourraient inciter les utilisateurs à réduire la fréquence des échanges et limiter le nombre de pièces que l’on peut louer en même temps.
Des efforts tous azimuts
Les entreprises pourraient aussi sensibiliser les consommateurs à l’impact environnemental de leurs choix, en fournissant par exemple des données sur l’empreinte carbone des vêtements loués, ou bien sur le nombre de fois qu’un vêtement loué a déjà pu être porté en plus que s’il avait été acheté.
Les entreprises du secteur de la location de vêtements devraient collaborer pour partager des informations et développer une compréhension plus approfondie des impacts environnementaux de leurs pratiques. En travaillant ensemble, elles peuvent mieux cibler les segments de consommateurs et promouvoir des pratiques de consommation plus responsables.
De leur côté, les clients jouent aussi un rôle essentiel dans la transformation de la mode vers une consommation plus réfléchie. Pour ce faire, ils doivent repenser leur relation avec la mode et la consommation. Un premier pas serait d’adopter une approche minimaliste, en privilégiant les vêtements de qualité plutôt que la quantité.
Les consommateurs peuvent aussi opter pour des pièces « éthiques », fabriquées de manière responsable, qui allient style et durabilité. Et se poser la question avant de louer un vêtement : « En ai-je vraiment besoin ? », « Le porterai-je plusieurs fois ? » Cette réflexion peut aider à éviter les locations impulsives et donc à réduire l’impact environnemental.
Transformer les plates-formes de location de vêtements en de véritables leviers de durabilité implique donc une volonté partagée des consommateurs et des entreprises. Ce n’est qu’au prix d’efforts combinés que ces services basés sur l’accès pourront réaliser leur promesse initiale : réduire l’empreinte carbone de la mode tout en répondant aux aspirations des consommateurs.
Cet article de Pauline Munten, Researcher and Teaching Assistant in Marketing, Université catholique de Louvain (UCLouvain); Joëlle Vanhamme, Professeure de Marketing, EDHEC Business School et Valerie Swaen, Professeure ordinaire, présidente du Louvain Research Institute in Management and Organizations (LouRIM), Université catholique de Louvain (UCLouvain) a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.